Entretien avec Anna Calvi

Anna Calvi avait créé la sensation en janvier. Repérée par Bill Rider-Jones de The Coral et soutenue par Brian Eno, elle sortait son premier album, signé chez Domino, sous les applaudissements des critiques. De passage au Printemps de Bourges, Le Transistor a sauté sur l’occasion de rencontrer ce bout de femme plus qu’impressionnant.

Anna Calvi

Anna Calvi joue de la guitare depuis son plus jeune âge, mais ce n’est qu’il y a cinq ans qu’elle a commencé à chanter. « Je voulais chanter, mais je me disais que j’avais pas la personnalité : j’étais timide, je ne me voyais pas projeter ma voix de cette façon. Mais il y a cinq ans, j’étais arrivée au point où il me fallait absolument essayer. J’en avais besoin pour me sentir complète. Donc je me suis lancée et j’ai passé plusieurs heures par jour à m’exercer, notamment en observant des chanteurs. » Au prix de nombreux efforts, Anna est parvenue à atteindre le niveau qu’elle exigeait d’elle-même. « C’était pas comme la guitare, qui m’a toujours parue très facile. C’est beaucoup plus émotionnel, si jamais tu as peur, ça se ressentira dans ta voix. Donc une grande partie des exercices était d’essayer de surpasser cette brisure dans la voix, qui trahit les sentiments. Et maintenant c’est très naturel. »

La jeune femme est timide, mais elle choisit le rouge sur scène, comme pour se donner du courage. « La musique est une manière tellement naturelle de m’exprimer pour moi, que ça fait ressortir une part très forte de ma personnalité. La raison pour laquelle je m’habille en rouge, c’est parce que ça représente ma musique. Tout ce qu’on montre à une audience, à la foule, est une expression de son art. Pour moi le rouge représente la passion de la musique, et le flamenco dont je m’inspire représente le drame et la romance de la musique. J’essaie de faire ressortir ce que ce j’aime dans la musique. »

Anna Calvi est tellement passionnée qu’elle en arrive à symboliser le désir sur scène. « Je suis passionnée quand je joue. Mais c’est pas la passion dans un sens romantique, on peut être passionné sans pour autant que ça ait un rapport avec le sexe. Trop de choses tournent autour du sexe. Dans la musique, il faut toujours que les femmes deviennent des objets. Je porte du rouge à lèvres et m’habille en rouge parce que ce sont des symboles de force et de passion pour moi. Mais j’essaie pas d’être sexy – je ne porte pas de mini-jupe. Quand je tire mes cheveux en arrière, je ne cherche pas à être sexy, je cherche à être plus forte. »
Anna refuse d’être vue comme sexy, et pourtant, elle affirme que la musique est sexuelle. « La musique est plein de choses à la fois : c’est émouvant, c’est douloureux parfois… Même si c’est bien évidemment sexuel, la musique est tellement plus de choses… Et c’est ça qui est important pour moi. Mais tu peux pas contrôler la manière dont les gens vont réagir à ta musique. Si quelqu’un ressent du désir à l’écoute de ma musique, je peux pas l’en empêcher, au contraire. C’est complètement subjectif, et c’est là la beauté de l’art. »

En live, la jeune femme fascine tout le monde, comme si elle avait ce pouvoir d’hypnotiser le public. « Mes parents sont thérapeutes, mais ils utilisent l’hypnose parfois sur leurs patients. Je pense que ça m’a influencée en quelques sortes. Par exemple, pour lire les gens, pour les observer, savoir ce qu’ils recherchent, les analyser en somme. J’y pense quand je suis face à une fosse : la foule devient une seule et même personne, qu’on peut essayer de lire. Au bout d’un moment, on arrive à savoir ce qu’ils ressentent, ce qu’ils veulent, quelle est la pensée collective… J’essaye réellement de regarder dans les yeux, certains détournent le regard, mais d’autres soutiennent mon regard, et ça peut être assez intense. »

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Cette fascination peut aussi venir de la puissance que dégage sa musique. « Il y a une envie de trouver quelque chose de plus puissant. Je n’ai pas peur d’exprimer ce que je ressens, même si c’est très sombre. Mais faire de la musique est une joie pour moi. La seule condition pour écrire, c’est de ressentir quelque chose. Une émotion, n’importe laquelle, mais il faut des sentiments pour être sûr d’écrire quelque chose de vrai. Ensuite la chanson s’écrit d’elle-même… Mais les sujets viennent tous seuls, presque instinctivement. » Susanne & I‘ par exemple est une vision romantique de la mort. « Parfois on comprend les paroles qu’après avoir fini la chanson. Ici, c’est l’idée de s’endormir, et de ne pas se réveiller. J’aime bien cette idée. Tu choisis de pas te réveiller peut-être parce que dans tes rêves, tu as rencontré quelqu’un, quelqu’un dont tu es peut-être tombé amoureux… Alors tu t’enfonces dans le rêve… J’avais ça en tête depuis quelques jours, puis j’ai commencé à chanter cette mélodie et les paroles sont venues toute seules. Ca peut symboliser la mort, mais ça peut être autre chose. Tout n’est pas sombre, il y a de l’espoir. »

Anna Calvi a développé un monde imaginaire, comme une biosphère qu’elle s’efforce de protéger. « En fait, étant petite, j’ai subi beaucoup d’opérations de la hanche, donc j’ai longtemps séjourné à l’hôpital au cours des trois premières années de ma vie. Et c’est vrai que j’ai toujours été une rêveuse, comme tous les enfants. Mais arrivé à l’âge adulte, on doit réfréner son imaginaire,  et développer un sens pratique.  Moi j’ai toujours aimé cet aspect rêveur de ma personnalité, donc je fais tout pour écouter l’enfant en moi, pour rester créative. Quand tu écoutes les enfants, on a l’impression qu’ils sont drogués, c’est incroyable à quel point leur imaginaire peut part loin. C’est génial, il faut que les gens s’écoutent plus et rêvent plus. »

Réclame

Anna Calvi a sorti un album éponyme disponible depuis janvier 2011 chez Domino
Anna Calvi sera à Glastonbury, aux Eurockéennes, au festival Beauregard, au Montreux Jazz Festival, au festival Plage de Rock à St Tropez, à Benicassim, au Paléo, à Pukkelpop, et à Rock en Seine.


Remerciements : Margaux (Domino)

Catégorie : A la une, Entretiens
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7 réactions »

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