Entretien avec Aline

En 2010, ils remportaient le concours des inRocKs, autrefois appelé CQFD. A l’époque, ceux qui étaient connus comme Young Michelin osaient chanter en français, même si ça se faisait pas vraiment. Beaucoup de choses ont changé : CQFD est devenu les inRocKs Labs, les jeunes groupes optent pour la langue de Molière, et les Young Michelin, désormais soutenus par le FAIR, sortent leur premier album, Regarde le ciel, sous le nom d’Aline. Le Transistor a rencontré Romain Guerret et Arnaud Pilard à la galerie d’art Flaq.

Aline

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce changement de nom a en fait aidé le groupe. « Cette agression de Michelin a généré une espèce de buzz… L’info a été relayée par des sites sur lesquels on n’aurait jamais parlé de nous. On était le pauvre petit groupe qui avait rien demandé. »

Aline

Il était raisonnable de penser que devoir se recréer une image était ce qui avait freiné Aline. « Quand les inRocKs nous ont annoncé qu’on avait gagné CQFD, le groupe démarrait à peine. On était super surpris mais super contents, parce qu’on s’y attendait vraiment pas. Après est-ce que Andy Chase était le producteur rêvé pour Young Michelin, est-ce que c’était le bon moment, est-ce que c’était pas trop tôt ? » Sauf qu’il y a trois ans, le groupe n’était pas encore prêt à se lancer. « On n’avait pas assez de titres : on a fini certains morceaux dans l’avion et j’écrivais encore les textes pendant les prises de voix. Et puis grâce aux inRocKs y’a eu tout de suite un focus sur nous, sauf que c’est à double tranchant… »

Appatés par le label CQFD, tous les directeurs artistiques de Paris se sont rués à leurs concerts. « A un moment donné, y’a un décalage : les mecs attendent beaucoup de toi, or on n’avait pas du tout ça en tête. La démarche c’était plutôt de se foutre du music business… On faisait aucun effort, on avait aucun jeu de scène. Les groupes de maintenant, ils ont bossé l’image, ils sont carrés tout de suite.
Arnaud : Les DA qui sortent d’école de commerce, ils veulent avoir un groupe tout prêt, que 99% du boulot soit fait, comme ça ils ont juste besoin de mettre ça dans des studios, et de s’occuper de la promo point barre. Ils ont plus le temps de développer les artistes, ils ont surtout plus la thune. C’est le marasme de l’industrie musicale. »
Aline regrette l’époque où les maisons de disque faisaient des paris sur les groupes. « On a été reçus en rendez-vous chez toutes les plus grosses maisons de disque. Ils aiment tous la musique, mais ils n’aiment pas trop la guitare, puis faut enlever la réverb, et puis vous êtes trop vieux, vous êtes pas assez… Avec des considérations hallucinantes, genre on va pas pouvoir vendre du Kooples ou autre dans les magazines ! C’est ça leur but aux DA quand ils signent un groupe : ils savent que tu vendras pas de disques, donc qu’il va falloir faire de la thune quelque part, tous les trucs extra-musicaux. C’est assez gerbant. »

Ce passage sous les projecteurs a en quelque sorte forcé Aline à se développer alors que l’idée première était très spontanée pour Romain. « Après le deuxième album de Dondolo, mon projet solo, j’en avais un peu ras-le-cul. En plus, je traversais une phase difficile professionnelle et privée, c’était le noir total : black out. Et j’ai eu envie de… ne pas lâcher l’affaire. J’avais surtout envie de retrouver du plaisir à jouer de la musique, de faire ce que j’avais envie d’écouter. C’était ça le postulat de départ : c’était un exutoire. Fallait que ça sorte, c’était ça ou j’arrêtais tout, sans trop savoir réellement comment gérer la suite. » Il en ressort des thèmes à fleur de peau, très adolescents dans l’âme. « Cest pas conscientisé, mais y’a des envies de créer une espèce d’absolu, un archétype de groupe indie pop, comme si j’étais un réalisateur d’un imaginaire. Et ce que je vivais sur le moment allait très bien avec ces images que j’avais en tête. Donc pour les textes ça a été très simple parce que j’avais juste à raconter ce qui m’arrivait. Ca parle de rupture… donc y’a forcément ce côté un peu naif. L’album parle du temps qui passe, de frustration, il parle d’avoir des difficultés à trouver sa place. »

Un groupe de pop qui chante en français risque souvent de tomber dans la variété. « C’est ça qui est super intéressant : c’est sur un fil mais c’est complètement assumé, sans second degré, sans ironie, sans cynisme. Et les gens sont plus habitués à ça. Maintenant il faut tout tourner en dérision être dans le kitsch, certains pensent que c’est une blague alors que c’est très littéral. Il faut prendre les choses comme elles sont, sans aller chercher derrière des significations alambiquées. » Aline ne souhaite pas se prendre la tête sur ce qu’il faut ou ne pas faire. « C’est une bonne chose que de faire les choses avec le cœur, de pas forcément intellectualiser les choses… On est plutôt viscéral, on est dans l’affect et l’émotion. Je veux pas faire de chanson française et surtout pas de chanson à textes : faut savoir dans quelle cour on joue : nous on fait de la pop musique. A moment donné, c’est obligé de sonner, faut ça puisse danser, sans forcément écouter le texte. »

Les yeux braqués sur l’Angleterre, leurs influences seront post-punk. « C’est la musique anglaise qui nous a formés. A la genèse du projet, on avait pas du tout Daho en tête mais plutôt The Jesus & Marie Chain, The Wake, The Cure… Ensuite on nous a dit que ça ressemblait à Gamine ou autre… bon, ok. Mais Daho et Jacno c’était des gens qui avaient notre démarche : ce qui les faisait vibrer c’était le Velvet Underground, ils aimaient le punk anglais et ils le faisaient très bien. Et on a oublié… » Des référence que l’on remarquera surtout en live. « A nos concerts, certains s’attendent à voir un truc un peu mignon, chochotte, un peu fragile. Oui la musique est comme ça, mais nous on l’est pas, heureusement. Quand on nous catégorise twee-pop c’est un peu énervant : c’est quand même beaucoup plus profond que ça – même si on est fans de Sarah Records. Tu peux dire les choses de façon subtile et fine sans pour autant chercher la joliesse.
Arnaud : C’est important qu’il y ait des contrastes… comme entre les paroles mélancoliques et la musique hyper tendue. »

Réclame

Regarde le ciel, le premier album d’Aline, est paru le 7 janvier
Aline sera en concert le 21 février au Café de la Danse.


Remerciements : William (Spoka)

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