Yann Tiersen

Cet été, lors de La Route du Rock, Yann Tiersen présentait sa nouvelle création, Dust Lane. Après un an de tournée, l’album sort enfin début octobre. Pour ceux qui ont eu la chance de découvrir ces compositions en décembre dernier à la Maroquinerie, c’est une révélation. Dust Lane couronne un parcours aux milles facettes. Rencontre avec un compositeur fascinant.

C’est une chose que de rencontrer un artiste qui nous a touchés émotionnellement. C’en est une autre que d’être reçu dans sa demeure. C’est très impressionnant que d’être accueilli par Yann Tiersen, son fils –qui m’a gentiment fait la bise-, et son gros chien tout doux (je suis nulle en chiens, je crois que c’était un ‘Cubitus’). La pièce principale est lumineuse, aérée, avec des bibliothèques à livres et albums sous toutes les formes, montant jusqu’à la mezzanine.

Yann Tiersen - Dust Lane

Yann Tiersen - Dust Lane

Le titre semble indiquer que Yann Tiersen s’est aventuré sur un chemin particulier. « Dust Lane. C’est pas un lieu en particulier, c’est seulement l’idée d’une rue poussiéreuse. C’est un terme d’astronomie aussi, c’est un amas de poussière mais dans une galaxie. Je savais pas, j’ai ça découvert après. Je suis tombé dessus par hasard, mais j’avais déjà appelé l’album comme ça. »

Dust Lane a été fini à l’été 2009, mais il le présente en tournée depuis plus d’un an. « L’album était pas mixé quand on a commencé à tourner aux Etats-Unis. Je l’ai mixé en juin juillet 2009. On a tourné un an avec, mais j’ai trouvé ça bien, parce que je voulais prendre le temps de trouver un label. Et puis l’album était fini, c’était le bon moment de partir en tournée, c’est le meilleur moyen de faire connaître le truc. Une chanson de l’album est d’ailleurs née en tournée. « J’avais ‘Fuck Me’ depuis vachement longtemps, mais elle a pris forme sur la route. Pour moi, y’a pas vraiment de chanson dans l’album, donc j’ai trouvé ça bien de la mettre en dernier pour qu’elle ressorte de l’album. Elle reste intégrée à l’ensemble mais créée comme un épilogue. Elle éclaire l’album différemment, elle l’allège un peu. L’album se finit juste avant – comme il commence d’ailleurs. Y’a pas de vraie coupure entre les morceaux, c’est comme une continuité. »

Ses voyages l’inspirent : son concert à Gaza a donné lieu à la chanson ‘Palestine‘. « Ca a vachement influencé l’album. Mais de toutes façons tout ce qui touche au territoire et d’autant plus à Gaza… ça m’a vachement marqué. On a pas du tout de connexion avec la réalité là-bas… On peut jamais se rendre compte de la réalité, c’est relatif … Tant qu’on ne vit pas leur quotidien, on peut pas le ressentir. L’idée avec cette chanson, c’était juste d’épeler Palestine, je pouvais pas trouver plus neutre – parce que c’est sensible quand même comme sujet. Et même ça… c’est hallucinant. » Cette chanson a donné lieu à un EP. « C’est un album de remix… avec Dälek [Deadverse], Matt [Elliott de The Third Eye Foundation], Orka et Chapelier Fou. On en a fait un live mais qui ne figure pas sur l’album parce qu’il durait 20 minutes. C’était super, j’en suis super content mais il fallait une autre galette pour le sortir et on n’avait pas les moyens. On a fait ça à Amsterdam pendant la tournée donc on était… loin !”

Quand ce ne sont pas les voyages, ce sont ses lectures qui l’animent. « Chapter 19, c’est un texte de Henry Miller, c’est le début du 19e chapitre de son livre Sexus. D’ailleurs, c’est un superbe texte sur le ghetto juif de New York. C’est Matt qui le lit. Il le chante pas, l’idée c’est que ça reste neutre. J’aime pas le lyrisme en fait, surtout pas avec ce texte.”

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L’album est très dense, on distingue beaucoup de strates superposées. « J’ai toujours aimé ça. J’aime pas qu’on entende tout. J’aime bien qu’il y ait plein de sons, que ça créée autre chose en fait, que la musique soit organique. Ca dépend j’aime bien les choses très minimales aussi mais j’aime bien que ça fourmille un peu. J’aime bien les choses un peu floues en fait. Donc musicalement j’ai toujours été attiré par les groupes un peu plus… j’aime bien la masse sonore en fait. Un de mes albums préférés c’est Loveless [de My Bloody Valentine]. » Il semble noyer les sons sous des milliers d’instruments. « En fait, on est seulement cinq sur scène. On va être six en fait, parce que notre batteur attend un bébé et c’est pour tout de suite. Dave [Collingwood] va faire la tournée avec nous en Angleterre puis Neil [Turpin] va nous accompagner, et comme ils sont tous les deux super importants, on va terminer à deux batteurs. La Route du Rock on était quinze, mais c’était spécial. c’était pour marquer la sortie de l’album et le 20e anniversaire du festival. L’album s’y prête vachement. On a notre structure à nous – du coup des gens peuvent s’inviter. On peut être six, dix ou trente musiciens… »

Malgré cette impression de superposition des instruments, Yann Tiersen a réalisé cet album tout seul. « C’est un truc qu’est assez bizarre parce qu’en fin de compte, en studio, je ramène rarement du monde… Pour Les Retrouvailles c’était pareil. Les gens qui participent à un album, souvent c’est des voix. Parce qu’au fil du temps je me suis aperçu que je travaille mieux tout seul. J’aime bien que ce soit complètement déconstruit, un peu anarchique, j’aime bien me sentir libre. Si je me sens obligé de savoir où je vais parce que j’entraîne quelqu’un, ça va me bloquer. » Il a pourtant fait beaucoup de collaborations. « Ca va dépendre en fait, parce que l’album que j’ai fait avec Shannon Wright, je l’adore mais c’est différent : c’était un album à deux. Par contre, dans de mes albums je suis plus à l’aise tout seul – pour tout ce qui concerne la musique et les instruments en tous cas. Et là sur Dust Lane, y’a Dave qui joue de la batterie sur tous les morceaux, mais c’est le seul instrument de l’album. Matt joue aussi un peu de flute indienne sur un morceau et un peu de guitare. Mais sinon y’a personne, tous les gens qui ont participé c’est des voix. Ce qui est logique puisqu’il y a vachement de chœurs. »

Son parcours reflète beaucoup de liberté dans ses choix. « La musique, c’est vachement important pour moi : c’est réellement mon seul espace de liberté. J’essaie d’être sincère dans ce que je fais et de pas trop réfléchir. Mais j’espère que cet album va en quelque sorte mettre les pendules à l’heure, parce que c’est ce que j’ai toujours voulu faire… depuis le début. Quand j’ai commencé à faire les premiers albums -qui étaient complètement acoustiques-, pour moi c’était déjà un énorme contrepied, quelque chose complètement différent d’où je venais en fait. » Pourquoi avoir fait tant de détours en composition ? « L’idée c’est de pas me répéter, ça me permettait d’être libre… et puis j’étais vachement jeune. Parce qu’à l’époque -et même maintenant-, j’écoute principalement du rock. Et puis c’était dans les années 90 que j’écoutais Loveless justement, et des trucs comme ça. J’étais trop jeune, j’aurais subi trop d’influence. Mais c’est sûr que je peux pas refaire deux fois la même chose. Après je pense que ce que je fais c’est cohérent et qu’il y a pas de rupture entre mes albums. Mais je me verrai jamais répéter un truc… je peux pas, j’en suis incapable. »

Réclame

Dust Lane sort le 4 octobre chez Mute/Naïve
Yann Tiersen sera en concert le 21 novembre à la Copé de Clermont-Ferrand, le 22 novembre à l’Elysée Montmartre de Paris et le 23 novembre au Cabaréat Aléatoire de Marseille.


Remerciements : Lara (Ivox)

Catégorie : Entretiens
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7 réactions »

  • Nico :

    J’ai terriblement envie de l’écouter mais un peu peur aussi : un album composé uniquement de batterie et de choeurs??? Suspense…

  • Agnes (author) :

    Absolument pas ! c’est un album magnifique, profond, émouvant… A acheter toute affaire cessante et à aller voir sur scène impérativement.

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