Entretien avec Arnaud Rebotini

La programmation de Rock en Seine a gagné une scène, ce qui fait que sa programmation s’est diversifiée. On retrouve ainsi Arnaud Rebotini, grand nom de la scène électronique française. Après avoir fait paraître un EP intitulé Desillusion l’année dernière, l’artiste vient de signer la bande son de 120 battements par minute, le film de Robin Campillo sur Act Up. Et même sans ce curriculum vitae, en face-à-face, Arnaud Rebotini en impose.

Arnaud Rebotini

Arnaud Rebotini n’a jamais été pratiquant d’un seul mouvement musical, avec toujours le don de changer de chapelle quand un style devient à la mode. “Oui j’ai un peu ce défaut-là. Enfin, c’est un défaut pour mener une carrière. Du moins, c’est juste un peu plus compliqué.”

Arnaud Rebotini est un artiste reconnu par Guy Ritchie et Quentin Tarantino. “C’était des morceaux qui existaient déjà sur un album et que les producteurs ont choisi pour Rocknrolla et Django Unchained. Mais là, c’est plus Robin qui est venu me voir pour son film précédent Eastern Boys, parce qu’il aimait bien un projet qui s’appelle Zend Avesta que j’ai fait en 2000 et puis il avait suivi ma carrière electro-techno. Donc sur son film précédent, il m’avait pris lui aussi un morceau mais m’avait demandé de composer le reste de la musique.” Donc 120 battements par minute est le deuxième film de Robin Campillo sur lequel il travaille. “ Robin est venu me voir avec des idées très précises de ce qu’il voulait. Et voilà j’ai lu le scénario et je l’ai fait. Il m’a demandé notamment de remixer ‘Smalltown Boy’ de Bronski Beat. Ca correspond à l’histoire d’Act Up surtout parce que Jimmy Somerville c’était un des premiers donateurs d’Act Up Paris. Il a payé je crois le loyer des locaux pendant un an, ou plus même, et puis il avait fait un concert à l’époque en soutien à Act Up.”

Pour la bande son de 120 battements par minute, Arnaud Rebotini a composé autour de la house. “C’est un peu ma génération qui a vu ce mouvement arriver. J’écoutais de la musique indie dès la fin des années 80, et gamin j’écoutais de l’electro-funk, donc j’ai été sensibilisé aux sons synthétiques. Et puis la house est arrivée, et j’ai pris le mouvement : comme ça en sortant, avec plein d’autres choses de cette époque-là.” Le DJ n’est pas spécialiste de ce mouvement, mais est grand amateur de toutes sortes de musiques. “C’est venu comme ça, comme beaucoup de gens. Via le créneau des boites gay effectivement, je suis allé au Boy au début parce que c’était les seuls endroits où on pouvait en écouter. Mais… c’est assez vite arrivé dans les grandes raves du début des années 90.”

Arnaud Rebotini explique que la house est une version bas de gamme de la disco. “La house c’est du disco-cheap ! C’est du disco sans orchestre, sans groupe, qu’on peut faire tout seul avec des boîtes à rythme à la maison, avec un coût de production assez faible. C’est accessible quasiment à n’importe qui. Maintenant c’est même gratuit, il n’y a même pas le petit investissement de base. ” Le producteur souligne la critique de la facilité de l’electro. “On dit qu’il suffisait d’appuyer sur un bouton. Mais c’est plus dur de produire un album de musique électronique, car chaque son doit être défini. Alors qu’un groupe de rock, t’as ta batterie, ta guitare ta basse et puis voilà ça roule.”

Avant l’électro, Arnaud Rebotini s’amusait plus avec la noise ou à new wave. “J’aime la musique au sens large. Du coup je suis pas un pur producteur de house ou de techno. Je peux en faire : ma carrière, mes disques solos sont souvent des mélanges et des choses assez personnelles. Mais même la house comme on l’a proposée dans 120 bpm c’est pas vraiment de la house de l’époque, il y a des éléments qui le rappellent, et j’ai rajouté des instruments acoustiques comme le cor, la flûte, la harpe, qu’on ne retrouve naturellement dans la house.”

Au final, sa véritable obsession, c’est la country. ”C’est la base de la musique qu’on écoute aujourd’hui : toutes ces chansons qui ont été écrites, sont issues de l’héritage même de l’écriture médiévale occidentale. Car le blues c’est le chant du troubadour. Ensuite c’est devenu de la variété, mais dans les années 60 et même encore 70, il y avait la country anti-Nashville, qui s’opposait au nouveau son. En fait, Neil Young a pompé à mort toute la country.” Et son idole reste Nick Cave. “Je me sens assez proche de lui, avec un côté électronique. J’ai une admiration sans borne pour Nick Cave : son songwriting, son intelligence sur toute l’histoire du rock’n’roll, sa manière de comprendre comment utiliser les choses. Et surtout de les rendre personnelles.”

Ce que l’artiste ne souhaite pas c’est stagner dans une période de revival musical. “En ce moment, il n’y a pas vraiment de nouveauté en matière de nouvelles technologies, il n’y a pas de changements de société significatifs. Comme de lutter contre la société d’avant, de libération sexuelle. Même les drogues restent assez proches de ce qui se faisait il y a 20 ans. Du coup il n’y a pas de mouvement qui fait que ça évolue vraiment, c’est ce qui fait qu’on est dans un revival, avec des modes, et des personnalités qui reviennent.” Pour lui, il faudrait un bouleversement social ou technologique pour pousser à la créativité. “Maintenant on a le mariage gay, ça veut dire que ce qui était à la marge est accepté. Le rock’n’roll, la musique c’est des contre-cultures, qui vont à l’encontre du sens commun. Alors bien sûr il existe encore des réacs, et il y a plein de choses à faire pour l’égalité en général, mais ça enfonce plus des portes ouvertes qu’autre chose. En tous les cas, le public à qui on s’adresse est d’accord avec ce genre d’idées, ce qui fait qu’il se passe moins de choses que dans les années 70.”

En matière de production, les avancées ne sont pas aussi prononcées qu’il n’y paraît. “Bien sûr, le son a évolué car la production a énormément évolué. Mais entre maintenant et ‘Behind The Wheel’ de Depeche Mode, il s’est écoulé le même temps qu’entre ce Depeche Mode et ‘Blue Suede Shoes’ d’Elvis Presley. Et on a moins avancé.” C’est peut-être pour cette raison qu’Arnaud Rebotini compose sur des synthés analogiques. “Pour la musique électronique en fait, les synthés actuels ne proposent rien de vraiment mieux. Voire c’est moins bien. Mais comme pour beaucoup de gens qui font de la musique synthétique, il est préférable de jouer avec mes synthés pour faire une musique moderne.”

En ce moment, Arnaud Rebotini travaille sur son prochain album. “L’idée c’est plus de continuer un peu ce que j’ai fait avec 120 bpm, c’est-à-dire mélanger les instruments acoustiques, avec des formations, aller au-delà de ce que je fais au synthé. Aller plus vers l’organique.”


Remerciements : Elodie Jouault [HIM Media]

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