Entretien avec Villagers

Deux ans après le poétique {Awayland}, Villagers revient avec un désarmant Darling Arithmetics. Avec ‘Courage’ comme premier single dépouillé, Conor O’Brien se révèle dans un album beaucoup plus intime, une ode à l’amour, aux êtres chers qui nous entourent, mais avec tout ce qu’il faut de recul pour analyser ces relations. Le Transistor l’a rencontré, pour savoir en quoi John Grant avait pu l’influencer dans sa composition, et surtout comment s’était passés ces longs mois de travail en solitaire.

La première influence flagrante de John Grant, c’est la barbe que Conor O’Brien arbore fièrement. « On me demande plus ma carte d’identité quand je commande au bar. En même temps, je ne bois plus d’alcool, j’ai arrêté il y a quelques semaines. Maintenant je bois trop de café ! »

Pour ce nouvel album, Villagers est parti à l’opposé du très élaboré {Awayland}. « J’avais envie de simplicité : je voulais que chaque chanson ait un rôle spécifique, chose que j’avais jamais faite auparavant. Chaque chanson contenait plein d’idées qu’il fallait déplier. Mais Darling Arithmetics est à la première personne, c’est un album très direct. J’avais l’impression que plus les textes étaient personnels, plus j’arrivais à atteindre des profondeurs d’introspection, et plus les chansons devenaient universelles. Du moins je l’espère. » Certaines chansons sont si intimes qu’on a l’impression de s’immiscer, d’importuner, à se demander si on a le droit de l’écouter. « Au fur et à mesure de l’écriture, j’ai remarqué que l’album pouvait ne pas être forcément narcissique, au contraire, car il s’agit de partager : tout le monde est passé par ces épisodes dans sa vie. Donc j’ai l’espoir que mes concerts soient une expérience collective, que les spectateurs se sente liés aux autres. Sinon, c’est juste moi qui lis mon journal intime aux gens, et c’est pas vraiment ce que je cherche à faire. »

Ce changement de cap s’est produit après avoir partagé la scène avec John Grant. « J’ai eu l’occasion de chanter sa chanson ‘Glaciers’ avec lui pour une émission de télé. J’en suis sorti tellement ému, comme soulagé d’un poids sur la poitrine ! Dans cette chanson, John Grant s’adresse à son lui d’avant, et c’est tellement direct… c’est très beau. Et je me suis dit que je pourrais aussi essayer d’écrire des chansons plus directes. Il m’a donné la force je pense de m’assoir pour écrire des chansons clairement d’amour. » Cette chanson l’a beaucoup marqué, et a provoqué un réel déclic pour remettre son style en question. « Je n’avais jamais chanté à propos de mon orientation sexuelle, j’ai toujours été ouvert à ce sujet dans ma vie quotidienne, mais je n’avais encore jamais abordé le sujet dans mes chansons auparavant, ni par autre voie publique. Et je me suis dit qu’il n’y avait pas de raison, donc qu’il était temps que je m’y mette. »

YouTube Preview Image

Il lui a donc fallu réapprendre à composer, sans chercher à expérimenter, pour que la musique serve uniquement la chanson. « Le plus dur était de trouver le bon équilibre pour éviter de tomber dans le sentimentalisme. Parfois c’est pas parce qu’on ressent quelque chose que ça va marcher dans la chanson : des fois on est déçu, on sent monter une émotion, on l’écrit en se disant que ça va être magnifique, et quand on le joue, ça sonne pas, donc il faut revenir au brouillon. Ca m’a pris un peu de temps… C’était une existence assez solitaire pendant 8 mois. »

Darling Arithmetics est donc un album plus introspectif, que Conor O’Brien a réalisé tout seul. « Ca s’est fait naturellement, j’ai pas vraiment choisi. J’ai commencé à écrire et enregistrer les démos chez moi et j’avais prévu de les amener en studio, d’impliquer le groupe, mais ça a commencé à sonner comme ce que je recherchais … Je l’ai ré-écouté après quelques mois, et j’ai réalisé que c’était le son que je voulais, donc pourquoi l’amener ailleurs ? » Il n’y a que le mastering que Villagers a confié à d’autres mains, même la production est faite maison. « Bien entendu il y a un écart entre ce que je voulais faire et ce que je suis en mesure de faire avec mon matériel. Mais comme je les ai pas retravaillées en studio, elles gardent un côté brut. Ca veut dire que ce sont les textes, l’histoire, la mélodie qui font tout le travail. La production reste en retrait. »

Ce Darling Arithmetics semble être dans la lignée du morceau ‘Occupy Your Mind’ composé pendant des jeux olympiques de Sotchi. « C’était plus en réaction à ce qui se passait en Russie, c’était une remarque générale sur l’intolérance, alors que sur cet album, c’est plus ma propre expérience de cette homophobie… Cette violence, de se retrouver pourchassé pour avoir embrassé quelqu’un. C’est encore un réel problème dans beaucoup de villes du monde : même dans certains quartiers de New-York ou San Francisco, il faut rester prudent. » Conor O’Brien révèle avoir été menacé, voire tabassé dans les rues de Dublin pour s’être affiché publiquement avec un autre homme. « Sauf que je voulais pas écrire un album uniquement sur ce sujet, parce que je sais que c’est pas le cas de tout le monde, donc je me suis focalisé autant que possible sur l’amour. Mais mon passé amoureux est forcément marqué par ces expériences. Ca m’a pris du temps pour trouver une manière intelligente de l’aborder, sans que ça prenne le pas sur la chanson. C’est pour ça que dans ‘Hot Scary Summer’ n’a qu’une phrase à ce propos : pour que ça reste une chanson d’amour. »

YouTube Preview Image

Mais Conor O’Brien est loin d’être amer, au contraire ses paroles sont presque taquines. « Je ne voulais pas non plus que ce soit revendicateur, plein de haine, je voulais que ce soit ironique, comme si j’allais prendre dans mes bras ces homophobes pour consoler l’objet de ma peur… Leur faire comprendre que mes bras leur étaient ouverts, afin qu’ils se préparent à faire de même pour moi bientôt. »

Réclame

Darling Arithmetics, le troisième album de Villagers, est paru chez Domino Records.
Villagers sera en concert le 4 mai au Café de la Danse et le 5 mai au Grand Mix de Tourcoing.
Lire l’interview de John Grant
Lire le live report de Villagers au Printemps de Bourges
Lire le live report de Villagers à la Cigale


Remerciements : Jennifer et Christophe [Domino]

Catégorie : A la une, Entretiens
Artiste(s) :
Production(s) :

Une réaction »

  • Villagers au Trabendo | Le Transistor :

    […] Art Of Pretending To Swim, le quatrième album de Villagers, est paru chez Domino Records. Lire l’interview de Villagers Voir les prochains concerts de […]

Et toi t'en penses quoi ?