Entretien avec Waxahatchee

Grâce à son troisième album Ivy Tripp, paru chez Wichita Records, Waxahatchee a réussi à percer en Europe. Katie Crutchfield revient cet été avec un nouvel album, Out In The Storm, plus personnel, plus live, plus ouvert aussi. De passage à Paris, l’ancienne chanteuse de P.S Eliot nous raconte sa vision des femmes dans la musique, sa relation créative avec sa soeur jumelle Allison, et aussi un peu de sa rupture qui a inspiré cet album !

Waxahatchee

Waxahatchee ne pourra jamais nier son amour de la musique des années 90. “C’était la musique que j’adorais quand j’ai commencé la musique : The Lemonheads, The Poppies… donc je pense que ça s’est glissé dans ma psychée. Donc même si je crève d’envie d’écrire une chanson qui sonne plus folk, c’est toujours cette influence qui ressort !”

Sur le morceau ‘Sparks Fly’, Katie Crutchfield raconte une soirée particulière avec sa soeur, comme un élément déclencheur. “J’étais en voyage de presse pour Ivy Tripp, et avec Allison on a passé cette nuit à Berlin. Je venais de vivre une rupture, donc je me sentais triste et un peu perdue. Mais on s’est tellement amusées : on était juste purement nous-mêmes, on se sentait bien, et vivantes, et c’est là que je me suis dit, que c’est l’état d’esprit qu’il me fallait retrouver. Parce que j’avais été tellement immergée dans cette relation qu’il me fallait me retrouver. C’est là que j’ai écrit cette chanson.“

En fait, Out In The Storm a été écrit suite à une rupture, mais n’est pas chargé de tristesse. “Pour moi il est plus énervé que triste. Il exprime de la colère, et ouvertement, ce qui est nouveau pour moi. J’ai l’impression que mon écriture a toujours été dans l’introspection, à exprimer un chagrin avec lequel je devais gérer. Mais cet album sur certains aspects est plein d’espoir, presque victorieux. Avec une bonne intention, un peu comme si j’écrivais à un ami.” Pour la première fois depuis longtemps, Katie Crutchfield a donc choisi de se raconter pour pouvoir tourner la page. “La principale raison qui m’a poussée vers l’écriture quand j’étais ado, c’était pour m’aider à digérer les émotions, et… au fil du temps, avec Waxahatchee, cet effet s’est affaibli à mesure que le projet a grandi. Mais sur cet album, c’était comme un flashback vers mon moi plus jeune… J’ai vraiment l’impression d’avoir réglé des choses.”

Pour retranscrire cette énergie libératrice, Waxahatchee a enregistré Out In The Storm en live. “Dans mon ancien groupe, avec ma soeur, on a toujours enregistré en live, mais c’est marrant parce que cet album, on avait pas prévu de l’enregistrer en live. On avait pas du tout répété dans cette optique, je disais au groupe de pas se préoccuper de sonner bien ensemble, mais que chacun se concentre sur sa partie. Et le premier jour en studio, le producteur a proposé d’essayer de le faire en live. Au final, je crois que ça capture bien l’esprit du groupe.” Et pour la première fois, Katie Crutchfield a fait le choix de confier ses maquettes à un producteur de renom, John Agnello (Kurt Vile, J Mascis, Thurston Moore…) “Si on regarde ma discographie, chaque album était un peu plus amplifié que le précédent. La grande différence, c’est que les derniers albums je les ai faits avec la même personne, donc ils sonnent pareil. C’est différent, de travailler avec un ami ou avec un producteur. Avec des amis, on a une certaine dynamique, il faut naviguer, alors qu’avec quelqu’un qu’on vient de rencontrer, c’est purement professionnel. Donc quelque part c’est plus facile.”

La relation qu’elle relate dans Out In The Storm la faisait sentir toute petite… un peu comme les femmes dans l’industrie selon elle. “C’était une relation toxique assez standard, avec une mauvaise dynamique. Quand la personne te rabaisse, te dénigre. La connexion que j’ai faite, c’était par rapport à quand on était jeunes avec ma soeur au sein de la scène punk, très masculine. Et souvent, sûrement par mécanisme de défense, les garçons se moquaient de nous. Dès qu’on soulevait un problème, même pour simplement souligner le déséquilibre politique lié au genre dans cette communauté.” Quand elles avaient 16 ans, les deux soeurs tournaient beaucoup sur la scène punk underground. “L’idée de se sentir aliénée en tant que femme, pour moi elle s’applique aussi à cette relation parce que cette personne avait l’habitude de tout faire en sorte que je me sente pas à ma place. Je me suis dit que c’était un sentiment auquel les gens pouvaient s’identifier. Surtout les femmes. De se sentir frustrées, par ces personnes, qui combattent les faits avec de l’humour, mais dans le but de te rabaisser.”

Pour Katie Crutchfield, les dérapages sexistes et sexuels sont désormais mieux contrôlés. “Dans le cas de PWR BTTM les gens ont immédiatement réagit. Un des membres a été accusé d’agression sexuelle, et ça n’a pas été accepté. Alors que par le passé, on aurait balayé l’histoire sous le tapis. Je vois réellement un progrès, car la conversation est possible. Les comportements n’ont pas changé, mais désormais les gens peuvent se faire entendre, pour dire que c’est sexiste ou simplement que ça ne leur convient pas. C’est pas parfait, mais c’est déjà mieux.”

Ca fait donc maintenant dix ans que les soeurs jumelles tournent, ensemble ou non. “Les conditions pour les femmes se sont améliorées, mais aussi peut-être que mon audience s’est élargie, et j’ai pu me créer une bulle. A l’époque, on jouait dans les sous-sols des potes et des galeries d’art, devant 20 personnes pour absolument zéro cachet. Donc maintenant, c’est plus confortable parce qu’on a plus de fans. Mais par le passé, il fallait juste s’accrocher, et plonger dans ce wild west qu’est la scène punk.” Mais si c’est plus confortable pour Waxahatchee, l’angoisse de la scène et toujours présent. “A l’époque, je sortais ces albums et je montais sur scène, mais c’était vraiment au sein d’une petite communauté. Donc maintenant c’est plus facile parce que j’ai l’impression que quand je joue, les gens sont là pour moi, et ils sont excités, donc je me sens soutenue. En même temps, faire un album comme Out In The Storm c’est un peu effrayant, parce que c’est tellement personnel… Et il y a tellement plus de monde, qui écoute et avec attention. Mais parfois il faut fermer les yeux et sauter dans le vide.”

Depuis 2010, Katie Crutchfield s’est lancée en solo, mais elle envoie quand même toutes ses chansons à sa soeur. “C’est pour nous comme de préserver notre relation créative, c’est comme ça qu’on a toujours collaboré, on fait les choses séparément, mais on l’envoie immédiatement à l’autre. Allison est comme mon cobaye, si elle aime, ou si ça lui parle, je sais que c’est cool, et ça me permet d’être plus à l’aise à l’idée de le sortir. Et c’est la même chose pour elle. Ça a toujours été notre dynamique, de partager, de faire les choses pour nous, et l’une pour l’autre.” Et finalement, les deux soeurs envisagent de monter un nouveau groupe ensemble. “Je sais, on a eu tellement de groupes ! (rires) La raison pour laquelle on veut monter un tout nouveau groupe, c’est pour se dissocier des anciennes chansons, parce qu’elles sont vraiment vieilles. On voudrait repartir sur un style complètement différent, mais on veut quand même écrire ensemble. C’est un peu sauvage, et toutes les personnes à qui on l’a dit ont la même réaction… Encore un groupe ?! (rires)”

Réclame

Out In The Storm, le quatrième album de Waxahatchee, est paru chez Merge Records/ Differ-Ant
Waxahatchee sera en concert le 11 septembre au Batofar et le 12 au Périscope de Lyon


Remerciements : Marion [Differ-Ant]

Catégorie : A la une, Entretiens
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