Entretien avec Magnolian

Au festival South By Southwest se retrouvent des groupes des quatre coins du monde. Et s’il y a un pays qui reste un mystère musical pour nous Européens, c’est bien la Mongolie. Premiers représentants de leur pays au festival Texan, Magnolian font de la folk inspirée de The Strokes comme de The National. Profitant d’une accalmie, Le Transistor est parti rencontrer Dulguun Bayasgalan, son guitariste Uujgii Munkhbayar, et sa chanteuse Enkhjin Batjargal au magnifique l’hôtel Driskill d’Austin.

Magnolian

Si Magnolian est le premier artiste mongol à SxSW, ce n’est pas leur premier festival international.
Enkhjin : Etre mongol présente quand même des avantages.
Dulguun : Même les Coréens trouvent ça exotiques…
Uujgii : Alors SxSW n’en parlons pas !
Dulguun : Mais on a quand même été refusés par pas mal de festivals ! Notre nationalité ne fait pas tout. Ensuite pour d’autres, il nous faudrait avoir plus d’instruments traditionnels…”

Magnolian est un groupe de folk moderne, avec quelques clins d’oeils à ses origines.
Dulguun : Je veux pas être catégorisé world. Sinon…
Uujgii : on devient un cadeau qu’on chope à la boutique de souvenirs !
Dulguun : J’ai rien contre l’idée, bien évidemment : sur une de mes chansons, ‘The Bride and The Bachelor’, j’utilise un violon traditionnel, appelé Morin Khuur. Mais c’est après avoir écrit la chanson, que je me suis dit que ça sonnerait bien. J’avais pas en tête l’idée de faire absolument une chanson avec cet instrument.
Uujgii : C’est pas un truc que tu essaies de caser.
Dulguun : Plusieurs groupes tentent de marier la musique mongole traditionnelle avec de la musique moderne. Mais ça parait toujours forcé : ils essaient de faire rentrer dans un moule, ce n’est pas très naturel. C’est clairement ce que je veux éviter.”

En bonus de son EP Famous Men, Magnolian a traduit une des chansons, ‘Banquet’, en mongol.
Dulguun : Toutes mes chansons sont en anglais, et puis par la suite, j’ai adapté les paroles, parce qu’elles n’ont pas du tout le même sens dans la version mongole. L’histoire, c’est que les textes me viennent naturellement en anglais. J’aimerais chanter plus en mongol, mais ça ne m’est pas très intuitif. Tout simplement parce que toute la musique que j’écoute, les films que je regarde, les livres que je lis, sont en anglais.
Uujgii : C’est aussi parce qu’on est allés dans des écoles internationales. On a appris l’anglais très tôt, on s’est retrouvés exposés à la musique occidentale, européenne.
Dulguun : Au final, le fait d’avoir une chanson en mongol m’a beaucoup aidé, car les Mongols la préfèrent de loin aux autres chansons de l’EP.”

Finalement les Mongols se retrouvent confrontés aux mêmes problématiques que nous pour écrire des chansons pop modernes.
Uujgii : Le mongol a des sonorités très dures, qui ne se marie pas bien avec les mélodies, alors qu’en anglais ça sonne mieux. Ou peut-être parce qu’on est plus habitués ?
Dulguun : Je trouve la langue anglaise plus souple, plus érodée. Elle a connu tellement d’évolutions et de révolutions culturelles : il y a tellement de personnes du monde entier qui l’ont pratiquée, et on a tous fait tellement n’importe quoi avec, que ça l’a rendue flexible.
Uujgii : Quand les paroles sont simples, elles sonnent rapidement stupide en mongol.
Dulguun : Le mongol est plus floral, plus poétique, et je ne me sens pas d’écrire des paroles dans ce registre. Même si je suis assez content de ma chanson en mongol : elle sonne pas kitsch. C’était difficile mais j’ai réussi à faire quelque chose de bien.”

Magnolian est à la base le projet solo de Dulgunn Bayasgalan. “Au début j’écrivais de la musique instrumentale, simplement à la guitare. Pendant longtemps j’ai attendu le bon chanteur, ou du moins la bonne personne… Un peu comme Beach House ! Mais je trouvais personne avec qui collaborer, pour finir les chansons.” Le compositeur a été obligé de chanter lui-même ses chansons. “Mon groupe préféré c’est The National, donc j’ai orienté mon chant à la manière de Matt Berninger, parce que ce n’est pas non plus un chanteur hors pair – c’est pas Whitney Houston -, mais je pense qu’en folk, tu n’as pas nécessairement besoin d’être bon en chant : l’essentiel c’est ce que tu exprimes. Du coup, quand j’ai sorti l’album, je jouais les chansons seul, ce qui fait que pour le gros festival en Mongolie, j’étais perdu au milieu des groupes, avec leurs grosses guitares…”

Petit à petit, Dulguun a trouvé des personnes pour l’accompagner, notamment Enkhjin Batjargal, sa petite amie. “J’avais une chanson qui s’appelle ‘Someday’, et je savais que je voulais une voix féminine, donc je l’ai gardée dans un coin. Un soir que je jouais de la guitare, je lui ai demandé de la chanter et c’était parfait. J’ai encore l’enregistrement original, je l’ai écouté hier, et c’est tellement cru, sa voix est tellement belle, tellement simple. Ensuite, avec Uujgii, on était au lycée ensemble, il fait aussi partie de la scène musicale mongole.”

La chanson ‘Someday’ est une des premières chansons de Magnolian. “ Elle est différente des autres, plus dans la veine des Vivian Girls ou des Strokes. Un peu lo-fi, pop-punk, indie. On a enregistré cette chanson très rapidement. C’était en septembre, Enkhjin devait retourner en cours, parce qu’elle étudie à Londres. On avait écrit la chanson, tout était prêt, il fallait l’enregistrer et faire le clip. Donc on est allés en studio, et on a tout bouclé en 3 heures.” Réalisateur à ses heures perdues, Dulguun s’est lui-même chargé de la vidéo. “On avait pas mal d’idées mais finalement, j’ai décidé de tout envoyer bouler. Avec mon téléphone, j’ai téléchargé une application qui donne l’impression que c’est filmé en 8mm (rires) ! On s’est baladés dans Oulan-Bator. C’est dans l’idée de la vidéo pour ‘French Navy’ de Camera Obscura, mais c’est surtout parce que je voulais montrer une autre facette de notre ville.”

Le premier EP, Famous Men, a une photo assez mystérieuse comme pochette.
Dulguun : Je me suis pris la tête pour la pochette, parce que bon, on peut pas non plus mettre n’importe quoi. J’avais trouvé une photo, mais quand j’ai contacté la photographe américaine, elle a refusé que je l’utilise.
Enkhjin : Mais c’était plus sombre comme image, c’était une femme avec une arme à la main
Uujgii : Cette photo aurait eu un autre impact, même sur la musique, parce que les gens qui écoutent l’EP projettent quelque chose : l’artwork te met dans un état d’esprit.
Dulguun : Oui, dans un sens, je suis assez content que ça ait pas marché. Et donc à l’époque j’écoutais un groupe qui s’appelait Japanese Breakfast, qui sur son album parle sa mère, qui apparemment a été emportée par le cancer. Et la pochette, c’était vieille photo de l’artiste avec sa mère, et j’ai trouvé cette idée géniale. Donc j’ai commencé à chercher dans les vieilles photos, et je suis tombé sur un paquet de 1997.”

Pour son premier EP, Magnolian a choisi une vieille photo, souvenir d’un festival mongol. “J’avais que 6 ans à l’époque. Et tous les ans, on faisait un road trip dans la campagne : en juillet, il y a un grand festival, le Naadam, avec des matchs de luttes, courses de chevaux, tir à l’arc… C’est une grande fête ! Et sur la photo, on voit nos chauffeurs, qui avec une petite télé munie d’une antenne, cherchaient, au milieu de nulle part, à regarder le match de lutte ! Trois mecs qui veulent regarder la télé, au milieu de la Mongolie. Ca m’a plu, c’était un mariage entre la modernité et le paysage traditionnel de la Mongolie.”

Réclame

Lire le compte rendu du showcase de Magnolian à SxSW




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