Entretien avec Cabadzi

Choisi par France Inter comme générique pour l’émission Si tu écoutes, j’annule tout, leur morceau ‘Cent Fois’ a le don d’intriguer (et d’envouter). En soi, Cabadzi ne rentre pas dans les cases car un peu à la convergence des styles. S’ils chantent en français avec de beaux arrangements, ce n’est pas vraiment de la chanson, et si le rythme tend vers le hip-hop, ce n’est pas du rap. A l’occasion de la réédition de leur deuxième album Des Angles et des épines, Le Transistor est parti boire un café en terrasse avec Olivier Garnier.

Cabadzi

Cabadzi a l’air très content d’échapper à toute catégorisation musicale. « On a souvent mal pris le fait d’appartenir à une scène qui ne nous parle pas. Cette scène qu’on appelle engagée, on la trouve démago. »

Pourtant, dans les inédits de Des Angles et des épines se trouve un morceau intitulé ‘Bonjour tristesse‘. « J’aime bien ce qu’il fait, il est très bon. Les deux projets ont dû se faire en parallèle : notre album est sorti en fin 2014, mais était prêt depuis février. Quand ce gars a débarqué courant de l’année, on a failli changer le titre. Mais c’était un morceau blague : c’est un morceau très rock, donc on l’a mis de côté pour le sortir sous forme de jeu vidéo sur notre site. Mais c’est marrant parce que le morceau il dit vraiment ça, c’est une sorte de logorrhée… C’est un pur hasard. »

Même si Cabadzi aborde des sujets de société de manière frontale, le groupe se défend de faire de la politique. « La musique c’est un business, faut pas se leurrer. Et quand on fait du business, forcément les choix politiques sont durs à assumer. Quand Noir Désir disaient fuck vivendi alors qu’ils étaient signés chez Universal, je les suis pas : où est la cohérence. Mais il y a pas qu’eux, il y en a plein des exemples. » Pour Olivier Garnier, un quelconque engagement en musique n’est pas possible. « Je trouve la démarche mensongère de dire fuck le system quand tu es le système. Quand on prend du recul, ce message est responsable de l’énorme dépolitisation. Parce qu’on peut plus y croire. Déjà on ne croit pas les politiques parce que c’est leur fonction, c’est juste des marionnettes, et en plus, on ne peut plus croire les gens dans lesquels on mettait des rêves, des envies, des idées morales. »

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Toutes les descriptions apparentent Cabadzi aux plus grands auteurs de chanson française… « Quand tu fais de la musique, t’as rarement l’envie de ressembler à quelqu’un. Mais évidemment tu es le fruit de ce que t’as écouté et je suis un enfant d’I AM et NTM. C’est indéniable, rythmiquement déjà, mais dans la violence du propos aussi. Je pense à Supreme NTM, leur dernier album sorti en 1998 avec ‘Laisse pas traîner ton fils’, ce genre de choses. » Alors que leurs influences résident dans ceux qui ont bousculé le hip hop en France. « Le premier album de Shurik’n d’I AM, Où je vis qui est paru en 1998, moi j’étais tout jeune, je découvrais le hip hop. C’est un album mythique du rap français, et assez bizarrement, il s’approche je trouve, le plus de ce qu’on fait. Même si instrumentalement ça reste très hip hop, simple et sans arrangements contrairement à nous. C’est surtout dans le côté direct que je m’y retrouve. Quant à I AM, ils ont fait un album parfait – ce qui est donné à peu de gens ! »

A la base, Cabadzi c’était une compagnie de cirque. « Avec Vikto, le beat-boxeur, qui est mon alter ego, on a monté le groupe à deux. Mais on était les musiciens des spectacles de cette compagnie – qui s’appelait Cabadzi aussi, on n’a pas changé de nom quand ça s’est arrêté. J’ai habité en caravane une dizaine d’années, j’avais deux chapiteaux. » La compagnie Cabadzi mêlait danse hip-hop et nouveau cirque. « Les deux acrobates étaient issus de la compagnie S’poart de Mickaël Le Mer donc c’était la réunion des cultures hip hop et circassienne. La danse est tellement exigeante physiquement, que c’est une très bonne base. Cette idée se retrouve maintenant partout dans le cirque : dans les deux grosses compagnies du moment, Eloize et le Soleil, la moitié des acrobates sont des danseurs hip hop formés aux arts du cirque. Alors que c’est deux cultures assez opposées. »

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Pendant trois ans, Cabadzi a fait tourner le spectacle 13e à table. « Ca marchait plutôt bien, on était cinq au plateau : un duo d’acrobates avec trois musiciens. Et fatigue aidant… c’est quand même crevant, parce que tu fais tout dans le monde du chapiteau. Même chez les grosses compagnies, t’as pas de tourneur. C’est un milieu beaucoup plus pauvre que la musique. C’est très autonome, t’es peu pour faire des choses de ouf. Mais du coup ça nous a appris plein de choses. » De ces années dans le nouveau cirque est née cette envie d’autoproduction. « Si on est en indé, si on produit nos disques nous-mêmes, et si on gère nos tournées nous-mêmes, tout ce savoir-faire d’autoproduction vient de notre expérience de cirque. Moi et Vikto on s’est vraiment rencontrés par le cirque. Par le montage de chapiteau, par gérer son bar, par conduire le camion, ce genre de choses bien éloignées du monde du hip hop. »

Sans préméditation aucune, Cabadzi est devenu un groupe de musique. « Ca s’est fait hyper vite. En 2009, on enregistre à l’arrache pourri la bande son du spectacle. A ce moment-là, notre acrobate annonce qu’il vient de recevoir une proposition du Cirque du Soleil. On a hésité à le remplacer, mais pile poil cette maquette Emeutes de Souffles est tombée dans les mains de journalistes chez Elle et France Inter. Ce disque, qui a été fait pour que les gens repartent avec la musique du spectacle, est devenu en gros le projet… C’est ça qui est drôle. »

…Un groupe qui chante en français et s’exporte très bien à l’international. « Dans certaines salles ils traduisent les paroles, et sur le YouTube d’Amérique du Sud, les vidéos sont sous-titrées. On correspond vraiment à une esthétique musicale développée en là-bas, à savoir un hip hop avec un fond textuel, et surtout assez harmonisé musicalement. On est sur le territoire de l’invention de la salsa, donc tout ce qui touche à un hip hop joué avec de vrais instruments, ça marche bien. » Ce qui convient à Cabadzi, projet à mille lieues de la mentalité française. « Au final, c’est à l’étranger que j’ai le plus de plaisir à jouer, clairement, parce que t’as pas de filtre. En France, on est trop attachés aux mots, à l’esprit, parce qu’on a eu Gainsbourg ou Brel, donc dans le son on va mixer la voix du chanteur très fort par rapport au reste de l’instru. Pour autant, on ne fera jamais de titre en espagnol, j’y ai pensé mais non, c’est pas une bonne idée avec mon accent pourri. »

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Car au final, c’est pas les paroles qui comptent, c’est l’intention. « C’est la rythmique qui fait tout. Le fond on ne l’a pas directement par le contenu, tous les rappeurs américains savent très bien que c’est pas par les paroles que le sens se fait. C’est ça qui est génial, c’est pour ça que la musique, c’est l’art premier – ou du moins universel ! – devant le cinéma ou l’écriture. Parce que le ressenti et l’émotion traversent les langues. C’est un peu naïf de dire ça, mais c’est vrai. »

Réclame

Des Angles et des Epines, le deuxième album de Cabadzi, est reparu en édition deluxe avec 7 titres inédits.
Cabadzi sera en concert le 20 mai à la Maison Populaire de Montreuil
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Lire la micro-chronique de Digère et Recrache, le premier album de Cabadzi par Benjamin Lemaire

Crédit photo : Nik8


Remerciements : PH Janiec

Catégorie : A la une, Entretiens
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