Entretien avec Silly Boy Blue

Elle a fait ses débuts en Avant Garde de feu-Pitchfork en 2017. Un an plus tard, Silly Boy Blue sortait son premier EP, ‘But You Will’. En 2019, pour son deuxième MaMA, Le Transistor rencontrait Ana Benabdelkarim, attendant sagement la sortie de l’album pour publier cet échange. Depuis, le monde (de la musique) s’est effondré, mais Breakup Songs est enfin disponible !

Silly Boy Blue

Clairement le nom de Silly Boy Blue est en référence à Bowie. “J’ai fait mon mémoire sur les corps androgynes dans la musique, donc j’ai parlé de Mykki Blanco, mais aussi de David Bowie comme précurseur et la deuxième partie était sur The Cure et Indochine, les néo-romantiques. Il y a une fascination : j’ai passé un an à étudier tous les clips, tous les mouvements, les paroles…”

L’histoire de Silly Boy Blue a commencé avec un clip, celui de ‘Cecilia‘. “J’avais pas de nom de groupe, j’avais rien du tout, je l’ai fait parce que j’avais besoin de le sortir à ce moment-là. J’étais en train de terminer mon stage aux InRocks, et un ami, Maxime, l’a envoyé à des gens, parce qu’il aimait vraiment ce morceau. Mais c’était pas du tout prévu. J’avais enregistré ça dans ma chambre, j’avais filmé des copines sur un toit à Nantes, j’ai monté ça dans la nuit, j’ai posté ça le le

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Avant ça, Ana Benabdelkarim avait aussi joué dans Pégase, aux côtés, entre autres, de Voyou (lire l’interview). “Sur Nantes, on se connaît tous un peu. Raphaël avait besoin de chœurs pour Pégase, donc on s’est rencontrés et comme on s’est vachement bien entendu, il m’a proposé de faire un album ensemble. Et Voyou, nos mères se connaissaient, on avait 8 ans quand on s’est rencontrés. C’était très cool de bosser avec ces gens-là : tout le monde se donne des coups de main. Il y a une très bonne ambiance dans cette scène-là.”

En 2019, Silly Boy Blue a remporté les Inouïs du Printemps de Bourges. “J’ai souvent très peur de pas être légitime. Quand j’ai eu ce prix j’ai demandé 15 fois, est-ce que c’est sûr, y a pas une erreur ? Et ce syndrome de l’imposteur, il vient de mon passif perso, mêlé au fait d’être une meuf. Il y a des choses qui avancent aujourd’hui sur ce plan, et c’est chouette, mais j’ai toujours l’impression qu’on s’est planté, que ça aurait pas dû être moi.”

Malgré ces succès, Ana Benabdelkarim n’a pas confiance en elle. “Pour pas mal de raisons… Déjà je suis la dernière après deux grands frères, donc c’est pas toujours facile de se faire sa place, même si je les aime énormément. Il y a aussi le fait que, j’ai un an d’avance sur ma scolarité, je suis entrée plus tôt à la maternelle. Donc j’ai toujours eu à redoubler d’efforts pour prouver que j’ai le droit d’être là.” Et le fait d’être une femme ne l’aide pas. “Dans tout ce que je fais, j’ai l’impression de devoir faire, mais comme tellement de meufs, beaucoup plus d’efforts. Par rapport à des collègues ou des confrères masculins. Dans le journalisme, dans les projets musicaux, à côté de toi tu vas avoir un mec avec une voix plus forte, alors que toi tu dis la même chose, voire des trucs plus pertinents !”

Dans les paroles de ses chansons, Silly Boy Blue se raconte sincèrement. “C’est un vomi de paroles, c’est moche mais c’est vraiment ça… J’y vais, comme si j’avais la personne en face de moi ! C’est aussi pour ça que je chante en anglais : j’arriverais pas en français à être aussi directe, l’anglais me permet de mettre cette distance, cette pudeur. J’ai pas cette poésie dans mes paroles. Parce que les moments où je compose, c’est un exutoire, tellement nécessaire, que j’ai même pas le temps d’y repenser, de mettre de belles métaphores.” Son écriture est une forme de thérapie. “C’est une super victoire pour moi de chanter ces paroles, d’avoir réussi à les transformer. ‘Third Day on the Couch’, c’est littéralement ce que j’ai vécu, ça faisait des semaines que j’étais pas sortie. J’ai toujours eu ce besoin d’écrire, j’ai jamais géré autrement qu’en écrivant des morceaux. Quand je chante sur une rupture, en fait, je l’ai jamais dit aux personnes concernées. J’y arrive pas, alors je mets tout ça dans mes morceaux.”

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Pour sa première tournée, elle a choisi d’être seule. “C’était un choix, pour me prouver que j’étais capable de tout gérer. Mais j’ai aussi besoin d’affirmer le projet pour l’incarner : c’est moi, c’est les morceaux que j’ai écrits, que j’ai composés. C’est le projet que j’ai créé et voilà comment je le présente aujourd’hui : de la manière la plus sincère possible. Ça m’oblige à être dans une émotion vachement forte. J’avais vraiment besoin de pas me planquer, comme je l’ai beaucoup fait : en studio, dans la voix, dans les paroles en anglais.” Probablement par peur de ne pas être reconnue comme à l’origine du projet. “Je veux que ce soit identifié comme un projet solo, parce que le nom c’est pas le mien. Et je veux pas être catalogué comme un Beach House où on se dit que Victoria Legrand se contente de chanter, et que c’est le mec qui a tout composé, alors que c’est faux… De cette manière, on comprend que c’est mon projet.”

Naturellement, on revient à la condition de la femme dans la musique. “J’ai grandi avec trop peu d’idoles meufs, parce qu’elles sont sous-représentées dans la musique. Il y a trop peu de choix, elles sont trop peu mises en avant. Certains festivals commencent à être plus inclusifs, et t’en as d’autres, avec seulement deux nanas sur un festival avec 45 groupes. C’est un truc qui me tient énormément à coeur.” Sa maman lui a transmis une solide culture musicale avec notamment Janis Joplin. “J’ai grandi avec les Runaways, avec Lady Gaga, Ariana Grande, Savages… qui passaient dans la petite salle du Stereolux, alors qu’à côté t’as le énième groupe de mecs qui font du rock. Alors oui il y a des mecs très talentueux, mais Daughter c’est complet dans une salle minuscule, alors qu’elle a un talent monstre. Elle est pas valorisée dans les médias ! Et encore je cite des gros projets qui ont bien percé…”

Au détour de la discussion se pose la question de la discrimination positive. “Déjà, si les gens sont dérangés par cette démarche, c’est qu’il y en a besoin, et que le jour, où tous les festivals feront l’effort d’avoir 50% des femmes, on arrêtera d’en parler. S’il faut y aller au forcing, allons-y. On voit bien qu’avec la méthode douce, pour pas brusquer le patriarcat, ça marche pas !” Silly Boy Blue est en faveur de l’obligation, il faut imposer des règles. “On dit que pendant 5 ans, on recrute que des meufs comme guitariste. Non seulement tu vas découvrir des talents qui n’osaient pas, mais en plus… On en parle de tous les groupes de mecs avec le bassiste qui débarque et qui n’en a jamais joué ?! C’est pareil pour tout le monde, mais ça dérange si c’est une nana qui sait pas jouer et pas si c’est un mec.”

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Et pourtant, cette politique entraîne une question de légitimité. “J’ai une pote qui, après la ligue du LOL, a reçu des offres, et s’est demandé si on l’appelait parce qu’elle faisait des bons papiers, ou parce qu’il leur fallait embaucher des femmes. Mais meuf ! Pour toutes ces années où t’as pas été appelée parce qu’ils faisaient leur boys club ! Toutes ces années où t’as pas été programmée parce qu’on favorisait les potes ou celui avec qui on a bu des coups, ils se sont bien marrés entre couilles ! Fonce ! En plus t’as cravaché pour en arriver là.” Oui, Ana Benabdelkarim est féministe. “Je comprends que ça puisse faire mal à l’ego, mais faut même plus se poser ces questions de légitimité. Dans un monde sans patriarcat, tu te serais pas posé cette question. J’ai vu tellement de projets, en journalisme comme en musique, de gens médiocres passer devant des meufs talentueuses… Et je suis passée de un-peu-énervée à la rage. Ca suffit en fait.”

Réclame

Breakup Songs, le premier album de Silly Boy Blue, est disponible.
Silly Boy Blue sera en concert à la Gaîté Lyrique le 6 octobre 2021.


Remerciements : Melissa

Catégorie : A la une, Entretiens
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