Entretien avec Sylvan Esso

Sous la signature Sylvan Esso se cache en fait un duo, composé de Amelia Meath du groupe Mountain Man et du producteur Nick Sanborn, aussi connu sous le pseudo Made of Oak. Revenant d’une tournée avec Feist, la chanteuse venait plutôt du monde la folk, mais avec le producteur, leurs compositions révèlent une electro-pop différente. Sylvan Esso était au Pitchfork Music festival pour défendre leur deuxième album, What Now, né sur les difficiles braises d’un succès qui les a dépassés.

Sylvan Esso

C’est Nick Sanborn qui nous accueille, avec son sourire chaleureux, et ses confidences entrecoupées de rires communicatifs ! “On arrive de Suisse, je m’en remets pas de cette route qui traverse les villages des Alpes. C’est tellement beau !”

Si Nick Sanborn est très enjoué, leur nouvel album What Now est né d’une crise existentielle. “Ce qui nous est arrivé est je crois arrivé à beaucoup de groupes. On crée quelque chose qui marche, et puis… si ça se passe bien, ça monopolise toute ta vie ! Pendant deux ans et demi, on a pas arrêté de tourner. Ce qui nous a empêché d’écrire quoi que ce soit. Et ça a été très difficile de changer la vitesse, pour pouvoir re-créer quelque chose. Tout simplement parce qu’on était des personnes totalement différentes !” Depuis le succès de leur premier album, leurs vies ont radicalement changé. “Entre les voyages, les concerts, les nuits à dormir sur le sol… La tournée n’est pas forcément l’endroit pour que se révèle les émotions nécessaires à notre musique. Par contre, l’aspect cathartique qui arrive après a été bénéfique. Ca a été très dur, mais j’ai réalisé quand on a fini l’album, que c’était seulement le début de quelque chose plus grand, d’une réelle crise existentielle. Je crois que ça nous a fait grandir. Et le monde était un tout autre endroit.”

Nick Sanborn a vu les signes avant-coureurs d’un essoufflement de créativité. “J’ai réalisé que j’avais besoin de d’accorder plus d’espace à mes pensées pour pouvoir écrire à nouveau. Donc j’ai fait cet effort de me lever tôt tous les matins, pour essayer de poser une minuscule idée sur mon ordinateur, avant que tout le monde se lève. C’est comme ça que j’ai écrit le beat de ‘Radio’, alors que le soleil se levait. Tout était absolument calme, et d’une manière incompréhensible, est né le titre le plus insolent : c’est bizarre, mais c’était tellement logique.” Il fallait se rendre à l’évidence, les longues tournées les avaient essorés. “On a commencé par parler de comment on se sentait. Parce que quand la grosse tournée s’est finie, on s’est retrouvés comme coincés. Donc on a échangé sur notre état d’esprit, et les choses auxquelles on avait pensé chacun dans notre coin. Et c’est là qu’on a réalisé qu’on avait pas parlé l’un avec l’autre ! Au final, la plupart de ces conversations ont atterri, ont fini en chansons.”

Cette grosse remise en question a soulevé la question de l’album What Now (littéralement “Et maintenant”). “La leçon a été de réaliser que le succès n’est pas une fin en soi. Il faut s’attaquer à la suite, parce qu’il y a une suite. Etre un adulte, ça signifie en partie qu’on ne peut pas imposer une narration à sa vie – comme dans les films par exemple. Peu importe ce qui arrive, on se réveille le lendemain.” Leur réflexion est que vie ne s’arrête pas sur de grands moments, tout est toujours en mouvement. “En cas de réussite ou de défaite, il faut, à chaque pas, prendre la meilleure décision. Jusqu’à la mort. Et ensuite ça continue sans nous. Qu’on se marie ou qu’on obtienne un diplôme, la vie continue, et c’est quelque chose de difficile à réaliser. Jusqu’à ce qu’on comprenne que le fait d’être vivant n’est qu’un magnifique état de changement permanent.”

Sylvan Esso se sont rendus à l’évidence : il faut être plus dans l’instant présent. “Chaque jour a besoin d’exister en tant que tel. C’est beau quelque part. Ce que j’en retire, c’est que j’ai réussi à dépasser la terreur. C’est juste qu’il faut être bon, tout le temps. Il faut essayer de mener une existence positive où… le monde serait un peu pire sans toi ! Essayer de devenir quelqu’un de meilleur, et cette tâche n’est jamais finie. Ca demande chaque jour toujours du travail. Et c’est plutôt agréable. En vrai, c’est génial !”

Malgré ce positivisme débordant, What Now est mâtiné de cynisme. “C’est surtout sur ‘Radio’, mais Amelia chante pour elle-même, plus que pour dénoncer les pratiques horribles des stations de radio. Le morceau parle de ses propres désirs qui l’inquiètent, et son jugement sur elle-même parce qu’elle essaie d’être quelqu’un qu’elle n’est pas sûre d’être. Beaucoup de personnes se retrouvent dans cette situation : on détecte un instinct assez terrifiant, puis on essaye de comprendre comment on a fait pour créer ce monstre à l’intérieur de nous.” Une ambiguïté plane sur cet album, à savoir si ces attaques cyniques sont politiques. “Je doute qu’on ne devienne jamais un groupe ouvertement politique. Mais un de nos buts, c’est de décrire de manière la plus précise possible à quel point être humain est compliqué. Sur le fait d’être un organisme vivant, respirant, interagissant avec d’autres. Les chansons ironiques, qui donnent ce ressenti politique, parlent de la réalité émotionnelle d’être une personne, dans un monde politique. Car tout ce qui est cynique sur l’album s’attaque d’abord à nous-mêmes.”

Pour Nick Sanborn, les compositions de Sylvan Esso s’appuient en priorité sur leur ressenti émotionnel. “Si la chanson est claustrophobique, c’est intentionnel. Cette anxiété, cette incertitude, c’est pour moi quelque chose de constant. Sur l’album, ‘Slack Jaw’ qui crée un profond moment de solitude, c’est un moment de sincérité pour Amelia. Et c’est le sentiment qui doit en ressortir. Parce que c’est comme ça que je ressens le fait d’être un être humain en ce moment.”

Le morceau ‘Slaw Jaw’ parle du vertige de solitude qui nous prend quand on repose dans le téléphone, comme une critique de notre société. “Quand on est plongé dans Twitter ou Instagram, puis d’un coup on réalise qu’on s’est enterré dans cette toute petite lucarne, cette minuscule partie de notre champ de vision a occupé 100% de notre cerveau, et on sait même pas combien de temps on y a passé ! Et c’est juste un flot constant, on a adapté notre cerveau à ce que Instagram ou autre veut qu’on fasse. Et quand on lève le nez, on réalise à quel point on est seul. Et ce yoyo, cette dualité entre claustrophobie et solitude est constante.”

Réclame

What Now, le deuxième album de Sylvan Esso, est paru chez Loma Vista / Caroline
Lire le compte rendu de Sylvan Esso au Pitchfork Music Festival


Remerciements : Jean et Pauline [La Cadence]

Catégorie : A la une, Entretiens
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