Entretien avec Asa

Quatre ans après le succès de Beautiful Imperfection, Asa revient avec Bed of Stone. Pendant la préparation de ce troisième album, qui marque le tournant de ses trente ans, la chanteuse nigérianne a décidé de se nourrir de nouvelles expériences… Rencontrée lors d’un passage à Paris, la jeune femme, qui s’est fait connaître grâce à ‘Fire on the Moutain’, a parlé de ses inspirations, de ses doutes, et de ses espoirs.

Asa

Pour Bed of Stone, Asa est partie à la recherche de nouvelles sensations. « Je peux pas dire que je cherchais l’amour, mais je cherchais une réelle connexion, que je n’ai pas trouvée. Je voulais tellement que ça arrive… Mais c’est aussi parce que quand on cherche l’amour, on le trouve jamais. »

Après la longue tournée de Beautiful Imperfection, Asa était épuisée. « J’étais constamment sur les routes, j’ai jamais passé autant de temps dans les aéroports de toute ma vie. Mais plus qu’un voyage, c’était une expérience émotionnelle, parce que j’étais en territoire inconnu : je me sentais vide. Tous les soirs, après un superbe concert et toutes les interviews, je rentrais seule. J’avais l’impression d’avoir tout donné, et puis soudain ce sentiment de solitude : tu te sens tellement seul ! » Pour se retrouver, la chanteuse a décidé de se perdre. « J’ai décidé de partir, de quitter la famille, de m’éloigner des lieux où je me sens chez moi comme Paris ou Lagos. Je suis partie aux Etats-Unis pour me retrouver complètement seule. Je voulais pouvoir rencontrer des gens par hasard, des gens qui s’en foutaient de qui j’étais. »

Asa a donc décidé de réaliser les choses que sa carrière l’avait empêchée d’entreprendre. « J’étais à la recherche de quelque chose de différent, qui me change des concerts. Je voulais rencontrer des gens normaux, faire des choses normales, ne pas avoir peur de me casser quelque chose : je savais que ça ferait mal mais ça fait partie du voyage. J’ai eu un accident d’ailleurs et ça m’a presque fait plaisir. Et puis j’allais passer le cap des 30 ans, et j’avais une liste de choses à faire : conduire une moto, apprendre à nager… je voulais juste vivre. »

Bed of Stone serait en fait un quatrième album : en effet, le précédent a été entièrement jeté à la poubelle. « Au début je l’ai enregistré et mixé, mais on l’a pas utilisé : on a dû tout recommencer. Au bout de quelques mois de studio, on s’est dit que ça n’allait pas du tout. Je ne me retrouvais pas du tout. Même pendant l’enregistrement je ne le sentais pas. Ca n’était pas quelque chose que je pourrais défendre, je me sentais pas à l’aise. Ce n’était pas moi. » Après autant de déceptions, Asa s’est posé beaucoup de questions. « Je suis sortie de cet enregistrement complètement crevée. Je voulais rencontrer des gens, mais j’ai pas rencontré les bonnes personnes. Et à un moment, je me suis demandé s’il ne fallait pas que je trouve une autre occupation. Je me suis même inscrite comme étudiante à l’université à Londres ! »

Afin de changer de dynamique, Asa a décidé de travailler avec de nouvelles personnes. « Je suis retournée voir Benjamin Constant, avec qui je travaille depuis mon premier album. On s’entend bien, il me connaît, et ça permet une évolution : il savait vers quoi je voulais aller pour mon troisième album. Et à Hastings dans le Sussex, j’ai fait la plupart de mes chansons avec Blair MacKichan. Il est toujours excité, toujours plein de vie, plein d’entrain. Et il a pu apporter cette énergie à mon album. C’était exactement ce qui me manquait sur le premier essai. »

De rencontres en collaborations, Asa arrive à bout de Bed of Stone, un album très sombre. « Je pense que la raison pour laquelle cet album est si lourd quelque part, c’est qu’il est réel. Par exemple ‘Dead Again’, c’est une histoire vraie, à propos d’une personne, que je pensais être mon ami. Et puis j’ai réalisé que je m’étais trompée à son sujet. Et ça a fait mal… La dernière fois que je l’ai croisé, ça m’a rendue folle ! C’était juste avant de partir pour rencontrer Blair, et j’étais rouge de rage, oui ma peau est très foncée mais j’étais rouge ! » Asa a puisé dans son aventure personnelle pour livrer ce nouvel album. « Quand je suis arrivée, Blair m’accueille très chaleureusement, mais j’étais tellement énervée, que je lui ai directement déballé mon sac. Immédiatement je me suis mise à écrire tout ce que je pensais. Et deux heures plus tard, on avait une chanson. »

C’est avec Piers Faccini qu’Asa a écrit le titre éponyme de l’album, ‘Bed of Stone’. « C’est par rapport à mon premier voyage en France. J’étais toute seule, je ne parlais pas français, et je ne connaissais personne. Un jour, je passe par le marché, et je vois les gens ramasser les fruits au sol. Or à l’époque j’étais sur le point de mourir de faim parce que je ne connaissais pas le nom des aliments. A chaque fois que j’achetais quelque chose c’était pas du tout ce que je pensais, le goût était bizarre. Mais les légumes au sol, je les reconnaissais ! » Ce souvenir lui a inspiré une expérience plus large. « C’est aussi l’histoire de personnes qui ont été obligés de partir de chez eux. Moi j’étais étudiante, j’avais une bourse. Je savais que je devais faire attention, me montrer intelligente, économiser de l’argent pour pouvoir rentrer chez moi. C’était pas génial mais j’étais pas pauvre. Mais pour d’autres, ils sont coincés, c’est leur quotidien. »

Asa s’inquiète aussi à un niveau plus global de la situation économique. « Quand j’étais enfant, j’ai toujours pensé que les choses allaient s’arranger, et même que je pourrais sauver le monde. Plus tard, on voit les choses différemment, on aperçoit d’autres facettes. Donc ‘Situation’ c’est à propos des gens qui se sentent frustrés, et spécialement les jeunes, qui ont attendu tellement de temps… Malgré plusieurs années d’études, les diplômés comprennent qu’il n’y a pas de boulot. » Asa se sent concernée par la condition des jeunes Africains. « C’est juste une chanson, je pense pas qu’elle avertisse de quoi que ce soit, mais elle parle d’un désastre imminent. On sent bien que quelque chose est sur le point de se passer, que quelque chose va se briser sous la pression. Il y a ce sentiment d’être arrivé au mauvais moment, au mauvais siècle. J’ai écris de mon point de vue, parce que je l’ai vécu, je me suis posé les questions, mais c’est un sujet global. »
La jeune femme marque une pause et rajoute : « J’ai grandi au Nigeria, je sais ce qui se passe mais j’ai aussi vu les jeunes en France, il n’y a pas de travail, les gens sont frustrés, cette hiérarchie, le poids de la catégorisation… Et au final la déception se lit partout sur les visages. »

Réclame

Bed of Stone, le troisième album d’Asa, est paru chez Naïve le 25 août
Asa est en concert le 7 octobre à la Cigale.
Lire l’interview de Piers Faccini


Remerciements : Delphine Caurette

Catégorie : A la une, Entretiens, HIDDEN
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