Hier j’ai vu un concert

“Hier j’ai vu un concert”. Quand j’ai inclus cette phrase, pourtant banale dans une conversation cette semaine, j’ai eu le droit à une réponse qui m’a, sur le coup, semblé bien étrange : “bawi bah c’est normal, bah toi t’en vois tous les jours”. Faux ! Je me rends à des concerts, showcases, festivals et autres prince-fesses musicaux à longueurs d’année, c’est vrai. Je suis au premier rang de nombreux concerts, c’est vrai également. Je passe mes soirées dans des lieux musicaux, c’est vrai aussi. Mais je regarde rarement des concerts. Pour ainsi dire jamais.

Parce que le spectateur moyen qui voit le photographe du premier rang comme la raison pour laquelle la barrière est trois mètres trop loin de scène ou comme une tête en contre jour supplémentaire qui va bouger devant lui ne sait pas à quel point il est agréable d’assister à un concert sans rien avoir d’autre à faire qu’à écouter, regarder et vivre. Probablement qu’on ne veut que ce qu’on n’a pas. La chatte de la voisine paraît toujours plus accueillante.

Ainsi, je suis venu, j’ai vu et j’ai vécu le concert de ce qu’il reste des Beach Boys au Grand Rex sans penser à comment gérer les lumières autour d’un visage, sans deux lanières rouges et noires sur les épaules, sans même réfléchir à ce qu’il fallait en penser. J’y suis allé comme on regarderait Secret Story ou le film du dimanche soir sur TF1. Du haut de mon balcon, je regardais la scène et le public, jusqu’à scruter les quelques personnes devant moi qui prenaient des photos.

Dix titres plus tard l’homme assis devant moi était toujours en train de filmer, comme un chinois devant une Tour Eiffel. J’avais l’impression de retrouver ici le comble de la hypitude festivalière qui est de regarder à la télé, son coupé, le concert qui se déroule devant 35.000 personnes 200 mètres derrière. Sauf que là, contrairement à la centaine de mes voisins qui prenaient des images, j’aurais préféré vivre mon évènement en direct plutôt qu’à travers leurs images mal cadrées. Parce que la réalité en est là. Un nombre assez impressionnant de spectateurs (qui augmente exponentiellement quand l’âge diminue) préfère tout simplement prendre des souvenirs d’une qualité dégueulasse et inexploitable pour on ne sait quelle postérité plutôt que de vivre en direct un évènement qui se passe sous leurs yeux.

Je m’imaginais alors De Gaulle en train de faire des twitpic depuis la BBC pendant qu’il préparait son discours, ou la femme de Luther King en train de filmer Martinou haranguant les foules. Imaginez Adolf en train de faire des Instagram à Auschwitz ou Napoléon oubliant de sonner la retraite en Russie parcequ’il chattait sur Facebook. A l’heure où l’on parle de la rapidité des communications et d’immédiateté de l’information, l’impression qui me reste est qu’à force de vouloir vivre pour la postérité -ou pour la gloire suivant s’il l’on est plus INA ou TF1-, on en oublie de vivre son présent.




Catégorie : Editoriaux

2 réactions »

  • Fanelie :

    Chouette édito… Il m’a permis de me rendre compte que, pour vous, filmer un concert c’est un “job”, et que vous ne vivez pas le concert comme nous. J’avoue que je m’en doutais car j’aime moi-même prendre des photos/videos de concert (pas pour la postérité mais pour les mater chez moi plus tard) mais du coup je sais que les chansons que je filme, je ne les vit pas de la même manière (alors que pour l’amateur que je suis, filmer une chanson se résume à survivre 4min le bras levé au dessus des têtes sans trop bouger!).
    PS: “La chatte de la voisine parait toujours plus accueillante.” Si c’est cette phrase ambiguë que je retiens de l’article… était-ce bien le but?!

  • Denise Lemaire :

    BPavo Benjamin Tu parle comme un livre!!!Continue,tu ira loin.

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