Entretien avec No Age

No Age, c’est le genre de groupe insaisissable. Comme ils donnent dans l’expérimental, on ne sait jamais quelle direction ils vont prendre. A peine pense-t-on les saisir sur An Object, qu’il partent en live (littéralement, c’était un album enregistré en live) sur Snares Like A Haircut. Le duo est de retour avec un Goons Be Gone un peu foutraque, plus direct, et clairement plus personnel. Randy Randall et Dean Allen Spunt ont déjoué les décalages horaires pour rencontrer Le Transistor via zoom.

No Age

Cette rencontre virtuelle s’est faite en plein confinement, ce qui nous vaut une jolie anecdote de circonstances de Randy : “J’ai gardé en secret des prises de batteries de Dean, donc je peux enregistrer sur ses batteries, j’ai des heures et des heures de ses prises, j’en ai pour toute une vie !”

No Age vient donc de sortir son déjà sixième album, Goons Be Gone.
Dean : Après des années à pratiquer dans chez les autres, on a construit un studio, pour enregistrer les batteries et les guitares nous-mêmes.
Randy : On n’a pas à douter, ou trop réfléchir à chaque étape… Quand on amène nos démos pour les faire écouter à des ingés son, d’un coup, le sentiment n’est plus le même. Là c’est en lien direct de nos cerveaux à l’auditeur.
Dean : En plus, quand je suis en studio, j’ai du mal à faire abstraction du fait qu’on paie à l’heure, que notre temps est minuté, et que chaque minute qui passe nous coûte parfois 15 dollars ! Va essayer de créer dans cet environnement ! C’est assez stressant. Dans cette nouvelle configuration, ça me paraît plus intuitif : on fait de l’art qui nous ressemble.

Le duo s’est amusé à construire un studio pour enregistrer tout ce qui leur passe par la tête.
Dean : Sur Snares Like a Haircut, on avait cherché à produire un album live, alors que là, on jouait une petite partie, un sample, puis on assemblait le tout, un peu comme si on les cousait ensemble. C’était plus des impulsions que des chansons structurées.
Randy : Oui, on était vraiment dans l’exploration. Et si certains retrouvent An Object dans ce nouvel album, c’est parce que ces deux albums ont beaucoup de notre touche personnelle. Ce sont deux albums différents, mais c’est ceux pour lesquels je me suis le moins pris la tête en vrai !
Dean : Personnellement, sur Snares Like a Haircut, je ne m’autorisais pas à exprimer ces envies, et maintenant je laisse les choses venir plus naturellement. Donc ça vient d’une envie de tout déchirer, de tout foutre en l’air.
Randy : On a fait cet album pour nous avant tout.

En concert, No Age aime à raconter que l’histoire du groupe c’est d’essayer sans cesse.
Randy : C’est par rapport à une anecdote de notre ancien groupe. Quand on a commencé à jouer en live, je pense pas que notre talent musical ait été un argument en notre faveur ! On était plutôt sur un sentiment punk, on s’amusait ! C’était plus pour l’expérience que pour la qualité de la performance.
Dean : Notre objectif était de s’en sortir en jouant de la musique, mais pas pour le côté artistique, plutôt pour voir ce qu’on allait nous laisser faire. On pensait que notre musique était si bizarre, étrange…
Randy : On voulait surtout tourner dans les clubs, et jouer avec des groupes qu’on aimait comme les Melt-Banana.
Dean : L’histoire c’est qu’on a jamais été invités à jouer ce concert, mais on s’est pointé avec notre matos, et on a essayé de s’incruster. Pendant les balances, on s’est retrouvés sur la scène, et on a commencé à jouer jusqu’à ce que l’ingé son nous interrompe… Nous, on a essayé de l’embrouiller, genre on est la première partie, pour voir si on pouvait pousser jusqu’à jouer le concert.
Randy : Finalement le tourneur est arrivé et nous a dit qu’on avait rien à faire là. On avait même pas de tourneur à l’époque, mais on avait dans l’idée d’essayer même si on était pas invités.
Dean : En vrai, on avait rien d’autre à faire, et surtout rien à perdre. Donc on a tenté, et on a quand même eu un dîner gratuit, ce qui à l’époque n’était pas négligeable ! Et on a pu voir un super concert des Melt-Banana, c’était presque aussi bien que de pouvoir jouer.

Quinze ans après cet échec cuisant mais épique, les No Age sont toujours prêts à essayer.
Randy : Il y a ce sentiment de tenter d’y arriver tout seul, en termes de production, et de création. Dean et moi avons des opinions tranchées sur ce qu’on aime, mais je pense que du point de vue technique, on s’est jusqu’à présent reposé sur des professionnels. Et je pense qu’avec Goons Be Gone, on a planté un drapeau.
Dean : C’était un défi à relever. La première fois qu’on a enregistré des batteries, il y avait ce sentiment qui flottait… On s’est regardés, on s’est donné du mal, et je crois bien qu’on a réussi à enregistrer un super son de batterie. C’est un peu comme de regarder par dessus son épaule, genre est-ce qu’on va avoir des ennuis d’avoir fait ça tout seuls ? Comme si on avait pas vraiment le droit !
Randy : On l’avait jamais fait de cette manière, et ça n’avait jamais sonné aussi bien. Donc cette idée de repousser des limites, et ce sentiment de faire semblant jusqu’à ce qu’on y arrive. Tout s’est bien passé, tu n’as pas reçu de pied de micro sur la tête par inadvertance, rien n’a explosé ! (rires)

Depuis la sortie de An Object, en 2013, No Age a ralenti son rythme de sorties et de tournée.
Randy : On a décidé de se donner un peu d’espace, pour éviter d’être toujours sur la route. On voulait aussi avoir du temps pour vivre : maintenant les tournées ne sont pas aussi longues, et on rentre passer du temps avec la famille entre deux virées. C’est plus simple à gérer.
Dean: Entre Everything in Between et An Object, c’était comme un marathon, on n’avait pas le temps de se poser. De 2007 à 2013, on a eu peu de temps pour respirer entre les enregistrements, les tournées, la composition. Tout arrivait en même temps, je crois qu’on a joué à Paris 6 fois sur cette période ! On voulait tourner le plus possible et aller partout !

Ce rythme est lié à leurs familles qui se sont agrandies.
Randy : C’est possible que le fait d’avoir des enfants ait une incidence sur le fait de pas vouloir partir trop longtemps.
Dean : Il faut garder en tête que c’est comme ça qu’on fait rentrer de l’argent.
Randy : Sauf que c’est pas une question d’âge. Quand ils sont petits, on veut rien louper de leurs premières fois. Et après 5 ans, on se dit qu’ils vont commencer à se souvenir. Maintenant, on sait qu’il va nous reprocher d’avoir été toujours en tournée. Donc on essaye d’être à la maison et d’avoir de véritables moments ensemble. Pourquoi t’étais pas là pour mon anniversaire ? ça fait mal, comme question.
Dean : Je pense que tous les parents ont les mêmes choix à faire, mais pour nous, pour faire un concert, il nous faut partir trois jours.
Randy : Je pense que mon fils en veut secrètement à Dean. Quand je dis que je pars jouer de la musique avec l’oncle Dean, il me lance un regard dégoûté. OK Papa, comme tu veux, on se voit dans une semaine. Parfois c’est dur. Mais la plupart des gens baissent la tête et travaillent et les journées sont perdues. Au final, on a de la chance de jouer de la musique en live pour gagner de l’argent.

Réclame

Goons Be Gone, le sixième album de No Age, est paru chez Drag City
No Age au Point Ephémère


Remerciements : Marion Seury

Catégorie : A la une, Entretiens
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