Entretien avec Her’s

A l’automne dernier, Le Transistor avait rencontré Her’s, qui venait de sortir son album Invitation to Her’s. L’interview attendait patiemment une prochaine venue en France et nous guettions des annonces de festival. Malheureusement, la nouvelle est tombée jeudi dernier. Le duo liverpuldien s’est tué dans un accident de la route lors de sa tournée aux Etats-Unis. Her’s ne passera plus jamais en concert. Nous gardons en mémoire deux jeunes garçons doux, gentils, sincères. Nos pensées vont à leurs proches et leurs familles.

Pour l’anecdote, Stephen nous glisse que Audun a passé beaucoup de temps à Paris.
Audun Laading : je suis né à St Cyr, j’ai grandi en banlieue, à Marly-le-Roi. On a déménagé maintenant, je suis triste, ça me manque. A la fin des concerts, quand je fais un petit speech en français sur la persévérance, ça surprend toujours tout le monde !

Her’s

Her’s avait sorti deux albums : Songs of Her’s suivi de Invitation to Her’s.
Audun : On a commencé le tout dernier avec une réelle intention de faire un album, c’était plus conscient comme démarche que pour le premier
Stephen Fitzpatrick : Parce que le groupe est arrivé un peu par hasard : on nous a proposé un concert, donc il nous fallait écrire des chansons. On les a enregistrées au fil de l’année, donc ça s’est fait en plusieurs sessions : on les écrivait et on les enregistrait dans la foulée.
Audun : Pour le deuxième, on avait eu le temps de tester l’eau déjà ! Ensuite on a eu la chance de faire des démos, et l’enregistrement s’est fait sur 3 mois. C’était une toute autre expérience parce qu’on avait une idée de ce qu’on voulait, de la direction à prendre.
Her’s a beaucoup fait évoluer leur recherche de production entre les deux albums.
Audun : c’était une de nos inquiétudes, car on avait seulement une boîte à rythmes à l’époque. On ne voulait pas tomber dans la surproduction, et qu’ensuite, les gens soient déçus en live. Finalement les gens ont super bien réagi, même sans aucun batteur. Donc sur le deuxième, on s’est senti plus en confiance pour enregistrer plus d’instruments, et des synthés…

Invitation to Her’s pourrait faire office de bande-son d’une rom-com.
Audun : c’est notre style de film préféré ! On essaie de rendre ce sentiment de feel-good dans notre musique, avec le happy ending espéré. Rendre la chanson cosy, même si c’est un peu kitsch. Maintenant la vrai pop a toujours une touche kitsch : il faut un peu de funk et tout ce qui va avec.
Stephen : je pense qu’il y a beaucoup d’émotions qui sont injectées dans les chansons. Quelque part, on est un groupe de pop indé qui n’essaie pas d’être cool. C’est agréable de partager ce qui nous passe par la tête, sans s’inquiéter d’être trop à l’écoute de nos émotions, j’imagine.
Audun : c’est peut-être une couche d’honnêteté. On essaie de pas devenir ce genre de groupe qui débarque avec ses lunettes de soleil. En fait, les personnages de nos chansons sont le plus proches possible de ce que nous sommes. C’est beaucoup d’expérience personnelle, on va toujours chercher un élément de vérité. Pour donner du sens.

Her’s propose une sorte de fuite de la réalité.
Stephen : oui, c’est sûr. On veut pouvoir s’échapper, oublier.
Audun : il y a tellement de choses compliquées qui se passent autour de nous.
Stephen : On est conscients de ce qui se passe mais on est pas trop politique…
Audun : Bien sûr ça nous touche mais… surtout de nos jours, il y a tellement de sujets, tellement d’opinions qui se confrontent. Sauf qu’il faut connaître pour parler ! On essaie de s’éloigner de tout ça, la tête dans le sable. Comme quand on va au ciné, parfois on a pas envie d’un film trop lourd.
Pourtant Her’s aborde le thème de la toxicité de la masculinité actuelle, un sujet d’actualité.
Stephen : c’est aussi qu’on crée des personnages, on se met dans la peau de chacun, on colle notre vie à la leur.
Audun : On peut parler d’un sujet sensible, mais en prenant l’expérience d’un personnage. On va pas s’emparer du sujet, et en faire une déclaration, mais on parle de nos expériences, de ce qu’on a vécu. De la société, du quotidien, de la vie en général…

Audun et Stephen, bassiste et batteur à l’époque, se sont rencontrés au sein d’un groupe, Sun Dogs – devenu Brad Stank.
Stephen : c’est de la bonne musique !
Audun : c’était les premières semaines de l’université et tout le monde montait des groupes. Je me souviens que je ressentais comme une pression de rejoindre un groupe. Mais au final ces gens-là sont restés mes potes les plus intimes pendant toute la fac.
C’est là qu’ils ont développé leur relation musicale.
Stephen : ce qu’on jouait dans ce groupe, c’était assez simple. On était pas trop en train de groover ensemble..
Audun : mais ça nous a permis de nous comprendre musicalement en quelque sorte. Et maintenant qu’on a plus de batteur, on travaille la section rythmique ensemble.
Stephen : On cherche ensemble ce qui marche le mieux pour chaque partie.
Audun : Cette musique, la nôtre, est assez libre, avec une seule guitare, ce qui me laisse beaucoup d’espace pour faire mes trucs à la basse… Des choses qui marcheraient pas d’habitude avec deux guitares, qui prennent toute la place, et la basse finit par sonner comme une lourde guitare. Dans Her’s, j’ai l’impression de pouvoir m’exprimer un peu plus, musicalement, et mélodiquement.

Quel effet ça fait à un ancien batteur de jouer dans un groupe sans batterie ?
Stephen : c’est drôle. Ca doit faire depuis mes 14 ans que je joue de la batterie, à une époque c’était pratiquement tous les week-ends, avec le son des cymbales qui s’écrasent près de mon oreille…C’était assez intense. Et là j’ai plus à installer le drum kit, j’ai plus à me le trimballer. Maintenant c’est très cool de jouer avec un batteur ! C’est une tout autre énergie, qu’on a pas avec une boîte à rythmes.
Audun : on a joué avec Paul Cherry, un Américain, et j’étais tellement jaloux de son batteur, et de son percussionniste ! Ils pouvaient faire des chansons linéaires, avec une approche progressive… Mais je pense qu’on trouve une liberté dans les restrictions de la machine.
Stephen : La limitation a été un élément fondateur du groupe. Ca nous a fait du bien de nous éloigner de la batterie. Ça a rendu le projet beaucoup plus frais !
Audun : Ce qui est marrant c’est qu’il y a encore beaucoup de monde qui nous demande si on cherche un batteur. Ils apprécient le concert et tout, mais ils comprennent pas. Ca fait un bout de temps pourtant, depuis Kraftwerk et Echo & the Bunnymen. Et pourtant ça paraît encore bizarre, peut-être que ça donne une impression de vide…
Stephen : C’est comme si le son de la batterie importait peu, c’est surtout qu’ils veulent le voir. Sauf qu’il n’y a littéralement aucun intérêt à recruter un batteur de pads électroniques ! Ca serait tellement cher pour pas grand chose.
Audun : Et ça fait plus de bière pour nous !

Une comparaison qui revient souvent c’est celle avec The Drums (lire l’interview) !
Stephen : j’aime beaucoup les Drums !
Audun : ils sont très cool, c’est une belle comparaison !
Stephen : je pense que ce qu’on fait reflète un peu le travail des Drums. Ca sonne comme ce vers quoi on tend.
Audun : Leur dernier album, Abysmal Thoughts, qui est sorti quand on bossait sur le notre, on l’a beaucoup écouté, c’était clairement une influence.
Stephen : Il y a beaucoup de drames dans ce groupe… On suit tous les épisodes ! Notamment les aventures de l’ex de Jonathan Pierce sur instagram ! On essaie de le faire venir à un de nos concerts !


Remerciements : Marion Seury

Catégorie : A la une, Entretiens
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