Entretien avec Moses Sumney

Moses Sumney n’est peut-être pas encore très connu, mais son nom rime avec beaucoup de groupes respectés. On le retrouve aux côtés de TV On The Radio, Solange, Sufjan Stevens, James Blake, Junip… Il y en a pour tous les goûts ! Attiré par son album Aromanticism, d’une soul electrisante, Le Transistor a voulu rencontrer ce Ghanéen de Los Angeles. Sa réputation en live le précède, et force est de constater que son charisme est irrésistible.

Moses Sumney

Quand on lui demande comment il a réussi s’entourer d’artistes si variés, la réponse est presque cinglante. “C’est marrant que le nom de Solange revienne si souvent : on a pas fait grand-chose ensemble, et nos musique sont différentes. Ma musique n’est R’n’B ni dans la prod ni dans le chant. Mais les gens voient un artiste noir, donc ils prennent un raccourci, sans se donner le temps de comprendre ma musique.”

Pour éviter ces raccourcis, Moses Sumney a choisi de tourner avec des artistes comme Junip, Local Natives, Yeah Yeah Yeahs. “Je voulais que les gens comprennent que musicalement je suis en connexion avec tous ces genres. James Blake et Sufjan Stevens sont totalement différents, et je suis à l’intersection, je suis comme le lien artistique entre les deux. Cette démarche a aidé, mais le problème reste, car les gens aiment à sursimplifier. En même temps, c’est pas à moi de le résoudre, c’est pas de mon ressort, mais je le fais quand même. (rires) Parce qu’il faut bien le faire.”

Pourtant, Moses Sumney n’hésite pas à citer Beyoncé et Usher comme influence. “J’ai appris à chanter grâce à la pop et au R’n’B : Destiny’s Child, Usher et Brandy. Mais… ils étaient très doués ! A cette époque, la pop avait le droit d’être bizarre. J’étais perplexe en écoutant Missy Elliott, alors que c’était juste génial. Mais ce n’est qu’une partie de mes influences, avec la chorale du XVIIe siècle, la folk, le rock indé expérimental…“ En fait, le Ghanéen puise son inspiration partout sauf dans la musique ghanéenne. “J’écoutais par contre les artistes qui s’en inspiraient comme les Vampire Weekend, mais c’est parce que je regardais la musique ghanéenne au travers d’une lentille américaine. Le monde te communique que la musique africaine est pas cool, donc on apprend à diminuer l’art qui n’est pas apprécié. Il m’a fallu d’abord le voir joué par d’autres personnes pour comprendre que c’était bien. Alors que j’aurais dû le prendre tel quel.”

Dans les artistes importants de sa carrière, David Sitek de TV On The Radio lui a prété un enregistreur, et pas n’importe lequel. “C’est le 4 pistes qui a enregistré leurs premières compos, et les miennes ! Je l’ai encore, je sais pas encore si je vais leur rendre, car ils n’en ont plus besoin. Je cherchais un producteur pour mon album, et Dave m’a dit qu’il valait mieux que j’apprenne d’abord, pour savoir quel son je voulais avoir. Et donc j’ai fait des démos, pour lui faire écouter et pour m’amuser. Et finalement ça m’a plu et je l’ai sorti tel quel.” C’est grâce à lui d’ailleurs que Moses Sumney a rencontré Karen O, des Yeah Yeah Yeahs. “Quelques mois après, il m’a invité à un barbecue chez lui, et j’y suis allé pour lui jouer ce que j’avais travaillé. Il a alors appelé Karen O pour lui faire écouter, et un mois plus tard elle me proposait de partir en tournée avec elle. Mais mes débuts, c’était avec KING – un groupe de trois femmes géniales de Minneapolis, qui ont eu Prince comme mentor. C’était à l’été 2013, on a fait une résidence puis quelques concerts ensemble. C’est là que les gens ont commencé à entendre parler de moi.”

Après ces débuts, Moses Sumney a enchaîné les concerts, qui laissent beaucoup de gens pantois. “Je cherche des moyens de créer des sons qu’on aurait pas imaginés possibles de la bouche d’un humain. Je combine des éléments, à la recherche d’une forme éthérée en quelques sortes. Ou spirituelle. Mais inhumaine dans le sens qui n’est pas faite de chaire, qui vient du ciel.” L’artiste, qui a grandi dans une famille de pasteurs, se veut spirituel mais pas religieux. “ Je pense que mon éducation religieuse est ce qui m’a amené à la spiritualié, mais… C’est pas une partie de mon ADN, c’est pas un aspect que je cherche à pousser en particulier… Certaines personnes ne croient pas qu’on ait une âme, alors qu’ils aiment la soul. C’est intéressant. Ca doit être parce qu’ils ne savent pas qu’ils croient, ils pensent être athée et que quand on meurt il ne se passe rien. Et pourtant ils ressentent une connexion, quand ils écoutent ma musique. C’est incompréhensible.”

Moses Sumney a vécu au Ghana, où la religion est très importante. “J’ai été plongé dans la religion chrétienne… jusqu’au cou ! Ça m’a pas rebuté, mais surtout ce qui est drôle c’est que je ne pratique plus. Donc j’ai fini par trouver ma voie d’une autre manière. Quand j’étais au lycée, j’étais à la chorale. Mais personne ne savait que j’avais envie de devenir musicien. J’ai tendance à la jouer perso, à ne pas me laisser influencer, donc qu’on me pousse sur une voie ou une autre, il était clair que j’allais trouver la mienne. ” C’est à cette époque qu’il a commencé à écrire des chansons en cachette. “Par la suite, j’ai déménagé à Los Angeles, mais même à mes meilleurs amis, je n’ai jamais rien dit de mes projets. Je ne voulais pas être découragé. Parce que quand j’ai commencé à écrire, vers mes 12 ans, mes parents m’ont dit que ça ne marcherait jamais. Comme personne ne croyait en moi, j’ai décidé que je n’en soufflerai mot à personne, et que j’attendrai que ça arrive. Donc j’ai gardé le secret pendant 7 ans…”

Les morceaux qui composent Aromanticism sont chargées de tristesse mais l’espoir est toujours tapi dans l’ombre. “Ce n’était pas mon intention, mais je pense que c’est dans la nature humaine que de chercher un sens à certaines choses. C’est humain de chercher une solution à quelque chose d’irrésolu, d’indéfini, d’indécis… Maintenant, les accords ne sont pas si sombres, et le chant essaye tout de même d’atteindre la beauté. Pour beaucoup, dès qu’on est dans l’émotion, ça reste réconfortant et ce peu importe l’intention. Parce que face à quelqu’un qui exprime ses sentiments, on se retrouve toujours un peu.”

Réclame

Aromanticism, le premier album de Moses Sumney, est paru chez Jagjaguwar.
Moses Sumney sera en concert au Pitchfork Music Festival Paris.


Remerciements : Agnieszka Gérard

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