Cher Emergenza, on vous emmerde

On nous a proposé cette semaine de nous payer pour faire de la pub pour Emergenza.
On leur a répondu qu’on préférerait qu’ils donnent l’argent aux groupes, plutôt qu’à des supports de comm’.
Et visiblement, ça ne leur a pas plu.

Avançant les habituels arguments de la gloire et de la sueur smicarde, Julien Delpy, l’abbé Pierre de la musique, nous explique que nous, au Transistor, nous sommes “derrière [notre] clavier [et qu’on] ne fait rien de [notre] coté pour faire avancer les choses”.

C’est sans doute vrai.

Bien qu’on nous classe parmi les mecs dits influents dans la musique avec une publication de référence (n’en déplaise à Nico Prat 😉 ) et qu’on nous fasse croire que notre avis puisse avoir un quelconque intérêt, nous sommes assez conscients de la portée limitée des conneries débitées depuis quelques années ici et là (ou ailleurs). On se contente des albums, des rencontres, des concerts et des open-bars qu’on nous offre pour se rémunérer artistiquement. On demande parfois des dédomagements pour tourner une vidéo ou couvrir un festival mais nous ne vivons directement ou intégralement ni de la publicité ni de la musique. Et nous souhaitons garder notre indépendance vis à vis de ces contraintes afin de garder notre liberté de raconter ce qui nous passe par la tête. Comment descendre un album ou un artiste qui a acheté un quart de page à 4000€ alors que la presse est en crise et qu’on risque de perdre un annonceur ? Et on ne parle même pas de la télévision qui n’a de média que le nom et dont les référents culturels ne sont que des attachés de presse vomissant des publi-communiqués sur des oeuvres dont ils ont vaguement lu les fiches gribouillées par leurs assistants.

Vincenzo Camuccini, "Morte di Cesare", 1798

Vincenzo Camuccini, “Morte di Cesare”, 1798

Alors oui Julien Delpy, probablement que LeTransistor ne fait rien pour la musique.
Probablement qu’aucun artiste ne verra jamais sa carrière décoller grâce à nous.
Probablement que nous ne serons jamais lus par autant de gens que vous avez pu en rameuter dans vos kermesses musicales hebdomadaires.
Probablement que nous brassons du vent dans un univers aussi vide que les caisses de Naïve.

Mais nous le faisons honnêtement, sans exploiter personne. Vous nous parlez de vos difficultés à boucler votre budget annuel (basé sur un chiffre d’affaires d’un million d’euros selon vos dires) sur lequel vivent les cinq salariés dont vous faites partie chez SCL Initiatives France (cinquante dans le monde) ? Ici, pas de salarié. Ici quand on produit P20RIS pour 8000€, on le fait avec nos moyens. Avec nos couilles. Avec notre pognon. Avec (celui de) nos partenaires. Avec nos potes. Et on emmerde personne. Et même qu’on se satisfait des quelques 500$ de revenus publicitaires YouTube que le projet a rapporté en se disant que ça permettra de financer la captation d’un groupe qu’on aime bien et qu’on veut aider. Comme ça. Pour le plaisir.

Ce plaisir, vous nous faites remarquer qu’on le partage régulièrement avec des marques. C’est vrai. On est sans doute des vendus préférant se pavaner dans des soirées payées aux frais des ménagères dans des budgets de comm’ indécents pour le plaisir des actionnaires plutôt que de lâcher notre thune dans des places de concert ou acheter des t-shirts pour soutenir la création.
Non seulement nous adhérons tacitement aux avances des banques, alcooliers et autres textiles en acceptant leurs cadeaux et en tweetant leurs programmes, mais en plus nous les soutenons. A l’heure où l’Etat se désengage de plus en plus de la création musicale, que les grilles musicales cathodiques s’uniformisent et que les festivals ne parviennent plus à trouver l’équilibre, ils restent des entreprises qui mettent de l’argent dans une industrie en friche. Qui, d’ailleurs, n’est pas prête de se relever.

Oui Julien Delpy, Ricard S.A. Live Music, Greenroom ou encore Pression Live ont notre soutien (avec des retours plus ou moins positifs néanmoins), aussi maigre qu’un somalien soit il, et ce même si Ricard, Heineken et Kronenbourg ne font que contourner la loi Evin.

Oui Julien Delpy, nous participons et relayons les opérations de SoMusic/Société Générale, Jack Daniel’s, Caisse d’Epargne, Crédit Mutuel, FNAC, Deezer ou SFR quand bien même leur engagement n’est pas désintéressé.

Ils organisent des évènements, payent des techniciens, des attachés de presse, artistes et autres acteurs du concert pour proposer au public ce qu’il veut. Ils font tourner une industrie honnêtement en se donnant bonne image. Et permettent (parfois) de mettre en avant des artistes qu’on n’aurait pas forcément vus ailleurs et créént le cocon à leur éclosion, ce qu’Emergenza n’a jamais su faire pour aucun groupe en 20 ans. Et malgré ça nous avons été critiques à de nombreuses reprises sur ces opérations de communication parfois maladroites.

Sachez Julien Delpy que le système que vous soutenez (et tenez à généraliser) à travers Emergenza est celui, biasé et dépassé, des télé-crochets où l’on fait croire à des artistes qu’il faut avant tout payer et faire payer son public pour réussir et donc exister. Celui où l’on fait croire qu’il faut avoir un public, de copains d’abord, de clients ensuite. La création musicale ne se limite pas à “la chance que [vous leur] donner” de jouer sur de “chouettes scènes comme Le Gibus” louées 1000 à 1800 euros la soirée. Donner sa chance à un artiste, ce n’est pas le jeter en patûre à un public partagé entre ceux qui viennent le voir, et ceux qui viennent voir les autres. Il est vrai qu’exploiter la crédulité de groupes d’ados en leur faisant payer vos “frais de secrétariat” de 60€ (c’est pas une vanne c’est dans votre réglement) n’est pas un délit et que, comme dirait le néo-philosophe Booba, “Si tu ne veux pas te faire enculer, ne donne pas tes fesses”.

“Quel est donc cet intelligentsia qui pense qu’un artiste est exploité s’il joue gratuitement” nous demandez-vous sur un ton que nous pensions ironique avant de relire notre conversation. Sachez Julien Delpy que cet intelligentsia s’appelle le Code du Travail qui considère par mesure d’égalité que le travail du bétail que vous collez sur scène est un boulot comme celui pour lequel vous êtes payé un “salaire moyen proche du SMIC” avec l’argent que ce même artiste a fait rentrer dans les caisses de votre entreprise -qui doit donc être titulaire d’une licence d’entrepreneur du spectacle puis qu’elle “exerce une activité d’exploitation de lieux de spectacles, de production ou de diffusion de spectacles […] quel que soit le mode de gestion, public ou privé, à but lucratif ou non, de ces activités” comme le prévoit l’ordonnance n°45-2339 du 13 octobre 1945.

Vous tentez de nous convaincre en disant que vous accompagnez des groupes sur le long terme (en citant SOMA et BB Brunes). C’est une bonne chose. Vous voulez un des conseils que donnent tous les managers à leurs groupes ? Dites leur de ne pas participer à votre tremplin.

Note d’après

Suite à de nombreuses nfos reçues, nous regroupons actuellement tous les témoignages de groupes, de salles ou de techniciens ayant participé à Emergenza afin d’étudier tout ça de près. N’hésitez pas à faire tourner et à nous contacter par commentaire ou dans le formulaire de contact.




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