Europa-vox populi !

C’est enfin le joli mois de mai à Clermont-Ferrand et ailleurs pour ce long Week-end de Pentecôte. L’esprit saint du rock and roll descendra t-il sur la Coopérative de Mai à la vitesse des cendres d’Eyjafjöll ou du pétrole dans les bayous de Louisiane ou se réservera t-il pour que l’ASM emporte enfin le morceau après dix années infructueuses ?

Cette année encore, le festival Europavox programme des artistes en provenance de plus de vingt pays européens avec l’Espagne à l’honneur, les festivaliers peuvent tester d’ailleurs leur résistance sur un taureau kitch permettant de faire du rodéo ce qui semble presque plus facile que d’écouter Camélia Jordana, la nouvelle grande dame de la chanson française d’après le délire critique de ces dernières semaines et un plan média en béton armé.

Comme souvent lors des festivals, les groupes jouent en même temps sur différentes scènes, ici la Coopérative de Mai, le Magic Mirrors et le Foyer et les concerts gratuits. En ce second jour de festival, le choix était assez rapide puisque ne goutant pas trop le hip-hop, qu’il soit belge avec Pitcho, espagnol avec Violadores del verso ou nantais avec le sextet Hocus Pocus qui a toutefois l’intérêt de jouer sur de vrais instruments et délivre un flow agréable (!) qui devient une référence en France.

A peine entrée dans la Mecque musicale clermontoise, on prend de suite un uppercut au foi avec le sauvage abattage de fût de Dries Van Dijck (à prononcer avec une frite dans la bouche) et les grincements de la guitare de Jan Paternoster (amen !) qui vous mettent la” tête en feu” des Black Box Revelation (qui n’en sont plus une) et qui permet presque de comprendre l’expression populaire “fume, c’est du belge”. Leur garage blues rock dépote sévère, je ne sais pas si on a retrouvé l’avion, mais la boite noire irradie, ces deux natifs des Flandres ont bien divisé le travail suivant peut être la partition prochaine de leur royaume et sont loin de jouer en pilotage automatique. Ils ne sont que deux puisqu’ils n’ont pas assez de mains pour tenir une basse, jouent principalement les morceaux de leur second album Silver Threats qu’ils ont sûrement puisés dans le pot (belge) pour balancer autant d’énergie, de guitare vrombissante et de batterie explosive. Parfait pour une mise en bouche.

Le soufflé retombe en peu avec Nive Nielsen, jeune inuit venue de l’insulaire et froid Groenland (Nunavut ?). Sa musique est encore fragile, son jeu de guitare très approximatif, sa voix hésitante mais le charme opère quand la batterie ne prend pas le dessus ou que les riff bruitistes s’estompent et qu’elle privilégie les titres avec son ukulélé ténor rouge vif mêlé de pédale steel et de scie musicale. Sa musique n’est certes pas très originale, on préférera Marie Sioux dans ce registre ou sa sœur de lait Alela Diane, on regrettera aussi les interludes longuets expliquant les chansons dont les paroles dérapent trop souvent vers le langage cuculien. La souriante jeune esquimau vient de sortir son premier album produit par John Parish entourée d’une flopée de collaborateurs comme Howe Gelb de Giant Sand, Ralph Carney & Patrick Carney des Black Keys, Eric Craven de Godspeed you! Black emperor, Alden Penner de Clues, Matt Bauer le banjo d’Alela Diane ou encore Alain Auger et Arlen Thompson de Wolf Parade. Au final, Nive, ça ne casse pas trois pattes à un ours blanc, ça glisse comme sur la banquise mais comme sir Parish a du nez côté chanteuse, on peut penser qu’elle ne fondra pas comme neige au soleil.

Après cet interlude reposant, surgit le lutin Rachid Taha, ex Carte de séjour, c’est comme si le bossu de notre dame rencontrait Bourvil et Jamel réunis, le galurin vissé sur le crâne. Le démarrage est laborieux, la mise en voix difficile mais au fur et à mesure du set on se dit que ce concert est salutaire, que cet artiste est important dans cette France plus si douce où quelques anciens de l’OAS manifestent à Cannes contre un film d’un autre Rachid qu’ils n’ont pas vu. Taha est une sorte de hors la loi, un pont entre deux rives d’une même mer (mère ?) entre deux cultures, kabyle adopté par l’Alsace et Sainte Marie aux Mines, patrie de Rodolphe Burger, terre d’asile des fous chantant comme Higelin. Pendant que l’on se divise, que l’on se niq-ab, Taha rassemble avec un rock and rai tonitruant qui permet tous les mélanges. Hier il distribuait Douce France aux députés à l’assemblée nationale pour prôner la tolérance et l’intégration, aujourd’hui il éructe plus qu’il ne chante son bonjour avec son pote Gaëtan Roussel ou pratique le oud combat avec le mythe Mick Jones (qui en vieillissant se métamorphose en un mix de Giscard avec le prince Philippe, duc d’Edimbourg, mâtiné de Frédéric Mitterrand) dans sa version meilleure que l’originale selon l’ancien Clash de Rock el Casbah. Mais la surprise sera cette version un peu poussive mais tellement jouissive pour tous les fans qui n’ont jamais entendu le gang de Brixton de Should I stay or should I go qui fera pogoter toute la salle comme au bal de St Michel Chef Chef. Et Taha, même bien imbibé montrera qu’il a des lettres en citant “le plus grand écrivain français auvergnat”, Alexandre Vialatte qui concluait systématiquement ses chroniques par “Inch Allah” et qui affirmait qu’« en Auvergne, il y a plus de montées que de descentes. » C’est en fait un assez bon résumé de Rachid Taha, des montées et des descentes, une montagne russe de sensibilité, un meeting “pote” musical pour quelqu’un qui préfère “jouer pour des gens ordinaires.”

La variété pop de Gaétan Roussel allait faire pâle figure après le “chaud” Taha. Quelques titres efficaces dont le single Help myself (Nous ne faisons que passer) mais dans l’ensemble un set roboratif même s’il on est convaincu de la sincérité du bonhomme et de sa profonde empathie et gentillesse envers son public. Gaëtan est un type qu’on aimerait serrer dans ses bras mais dont le Ginger (ale) reste une composante du Canada Dry… Ça a du goût, mais cela ne brule pas l’œsophage, ce n’est pas désagréable mais on n’a pas trop envie d’une seconde tournée. Alors, oui, ça marche, on fait applaudir le public (pourquoi en France personne n’est capable de taper en rythme !), on lance des “ça va toujours ?”, on balance des solo de perçu ou de sax baryton, les choristes vocalisent mais au final on s’ennuie un peu en repensant au Bleu Pétrole de Bashung et en se demandant si Gaëtan Roussel ne réserve pas ses meilleures chansons aux autres en ne gardant pour lui que des paroles de bon élève de CM2 (Si l’on comptait les étoiles, Dis moi encore que tu m’aimes, Tokyo)
La soirée se clôt par l’ovni Boogers, crottes de nez pour les non bilingues. C’est comme si Didier Super rencontrait Iggy Pop ou si Weezer dansait sur Kraftwerk, Stéphane Charasse, de son vrai nom, homme orchestre autodidacte et loufoque joue du piano et de la guitare en même temps et chante par dessus le marché. Ce n’est ni tout à fait électro, ni tout à fait pop, un punk du 21ème siècle, bricolo habile à la Beck des débuts. A 34 ans, ce n’est pas un perdreau de l’année d’où un certain recul amusé sur la récente poussée de fièvre médiatique autour de son œuvre, son Lost my lungs pourrait toutefois être le tube de l’été et rendre gaga la lady. Fan de Krusty le clown, il porte en lui une grande part d’humanité comme tous les amuseurs, sauf que lui amuse les mots et bidouille les sons. Ce bougre de Boogers fourmille d’invention et termine la soirée comme on l’a commencé, dans la fureur, la moiteur et la bonne humeur.




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