Marketing, communication et médias : un mariage impossible

Avec 10 ans de retard, ça y est, l’industrie du disque est arrivée sur le web. Après avoir ignoré ce canal de diffusion pendant des années, après l’avoir matraqué à coups de procès, l’accusant de tous les supposés maux du business, voici que certains labels s’installent à la table du web en collant leurs grosses bottes pleines de boue dans le plat. Le public ne semble pour le moment pas y voir d’inconvénients, mais qu’en sera-t-il dans 10 ans ?

© BENJAMIN LEMAIRE

Des origines révolutionnaires

Alors que la presse écrite est en plein essor au XIXème, la France, pays des Droits de l’Homme, instaure le 29 juillet 1881 la Loi sur la Liberté de la Presse. Pour en arriver là, il fallut des centaines de communards morts pour la liberté d’expression, pour le droit des femmes et pour les vrais début de l’application des Droits de l’Homme. Une fois encore, la France était à l’origine d’une révolution politique, culturelle et sociale aux conséquences mondiales.
Ainsi, tout au long du XXè siècle, la presse a permis la révélation de nombreux scandale, du J’Accuse…! de Zola dans L’Aurore, (le même journal où les interventions de Georges Clemenceau, sorte de Didier Porte de l’époque, provoquent nombre de crises politiques) au Watergate dans le Washington Post en passant par les multiples scandales politico-financiers tels que Clearstream, l’affaire Gaymard, les avions renifleurs, les diamants de Giscard, les écoutes de l’Elysée et autres morts étranges comme celles de Robert Boulin ou de Jean-Edern Hallier.
Après un siècle de mondialisation et de combats, les acquis sont devenus de beaux lauriers en forme de bons gros coussins bien confortables et la belle liberté d’expression s’est engourdie dans une complaisance flasque et molle, endormie pendant un voyage de presse, trop fatiguée par les folles soirées de lancement pleine d’alcool et de petits fours.

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Nouvel outil, nouveaux usages

Puis est arrivé le web et avec lui la foire à la liberté d’expression. Le paroxysme de la parole libre. N’importe qui, pourvu qu’il ne soit pas en Chine ou en Iran, peut publier ce qu’il veut, à destination du monde entier, pourvu qu’il ne soit pas en Chine ou en Iran. Chaque internaute peut désormais publier son Fils du père Duchêne Illustré de chez lui en tout anonymat. Tous les médias sont depuis arrivés sur internet, rapidement suivis par tous les acteurs de la musique. En quelques années, Internet est devenu ze place toubi. A tel point que les webzines, fanzines, blogs et autres sites amateurs ou non sont devenus des cibles pour les acteurs de la musique qui se sont tardivement rendu compte que leur public était également sur le web. Ainsi, après 10 ans de vulgarisation d’Internet dans les foyers du monde entier, les labels se sont mis à communiquer différemment sur internet.

La presse dite traditionnelle -radio, télé, presse écrite- est néanmoins restée au dessus du lot dans le traitement des médias. Ils sont toujours considérés de qualité supérieure et d’une audience supérieure -ce qui est partiellement vrai- et bénéficient d’un traitement de faveur, tant dans la disponibilité des artistes que dans le temps qui leur est accordé. De son côté, le web sert généralement à lancer les artistes en développement. Les rédactions étant plus ouvertes et ayant des audiences généralement plus ciblées, il semble plus aisé aux communicants de taper directement dans une communauté qu’il pense établie. Eh puis le web (surtout s’il est 2.0) c’est hype et c’est plus facile à vendre à un client.

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Un mélange des genres

Mais ce qui différencie la presse du web c’est le style admis. Rares sont les attachés de presse ou les chefs de projet qui s’indignent d’un mauvais article dans Les Inrocks ou dans Télérama. Au contraire. C’est parfois le début de long débat qui vont créer le Graal tant attendu : le buzz. Dans tous les cas, on s’imagine mal un responsable de relations publiques reprocher à un journaliste un papier négatif (quoiqu’on l’a vu sur Yodelice). Parce que le propre des blogueurs c’est le plus souvent de parler des choses qu’ils aiment, mettant de côté tout ce qu’ils n’aiment pas, en publiant donc majoritairement des articles positifs, le contraire d’une rédaction qui a une ligne éditoriale et un comité de rédaction qui décide des sujets à traiter et qui délègue l’écriture à un journaliste qui donnera son avis, positif ou non.
L’autre grande différence, c’est que dans les rédactions traditionnelles, les journalistes ont une carte de presse, qui certifie que c’est leur métier et donc leur activité principale. Les blogueurs et autres rédacteurs ont souvent d’autres activités. Certains travaillent dans le marketing ou à La Poste (ou au marketing de La Poste), mais une partie non négligeable d’entre eux -dont moi- ont des activités professionnelles partiellement voire totalement liées à la musique : attachés de presse, blogueur pour une marque, salarié d’un label, photographe, réalisateur etc. Cette confusion des genres pose alors un problème d’éthique -notion souvent absente du web- et de conflit d’intérêt. Comment un peut-on écrire objectivement -et sans être taxé de subjectivité- un article sur un artiste que l’on a en promotion ? Comment peut-on réaliser pour son site -gratuitement donc- une vidéo ou des photos et proposer le même service -payant- à un label ? Pourquoi un label devrait-il payer pour réutiliser un contenu vidéo qui est disponible sur une plateforme de partage ?

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Un débat sans réponse

Les questions restent ouvertes et les débats pourraient être encore longs. Un début de solution a été trouvé par Universal à travers OffTV -sortie prévue en septembre-, site qui présente “l’actu OFF des artistes Universal Music”. L’idée est intéressante. Il s’agit de proposer un contenu exclusif, pour lequel des budgets sont alloués sur un site dépendant directement du label. L’intérêt c’est d’avoir un contenu propre et validé par tous les chefs de projet. Du contenu aseptisé certes, mais ce n’est finalement qu’un site de communiqués de presse.

Reste seulement à espérer que les labels ne pensent pas que ce type de sites publicitaires -puisqu’il ne s’agit clairement pas d’un média- ne servent pas d’exemplarité dans le contenu, et que les attachés de presse ne se confortent pas dans l’idée




Catégorie : A la une, Dossiers

6 réactions »

  • zikomagnes :

    RT @le_transistor: [Dossier] Marketing, communication et médias : un mariage impossible – http://www.letransistor.com/2141-dossier

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    […] This post was mentioned on Twitter by Agnès Bayou. Agnès Bayou said: RT @le_transistor: [Dossier] Marketing, communication et médias : un mariage impossible – http://bit.ly/a1gBvJ […]

  • Florian :

    Ah la la… Le conflit d’intérêt dans la promotion musicale. Quel grand et beau débat.

  • Rod :

    quand tu te fais chier à bien ecrire – c’est rare – t’es pertinent.

  • Florian :

    Surtout très intéressant… Et tellement vrai.
    Mettre le doigt là ou ça fait mal.

  • steflevrailunique :

    se confortent dans quelle idée? Dans cette idée? L’article est fini ou pas?

    j’ai envie de prendre un verre avec vous pour discuter de tout ça, je suis juste d’accord sur RIEN

    enfin si, mais pas beaucoup quoi. Ou alors en tout cas pas comme ça.

    Juste si on prend un seul des trucs parmi les milliers ou je ne suis pas d’accord, le côté TV > Radio > Presse > Web c’est vrai, et j’en suis le premier marri, mais ça n’a rien à voir avec une quelconque idée de “qualité supérieure”, l’idée répandue à ce niveau là (qualité) est inverse en général (le web est un média perçu comme qualitatif car spé et de niche la plupart du temps)

    Non la clé n’est pas la qualité mais la quantité. En promo plus tu es exposé, plus tu vends, c’est implacable, y a des exceptions je vous l’accorde et la variable qualité influe grandement aussi sur le curseur “achat/vente” et peut être un accélérateur, mais en vrai la principale mesure c’est “à combien de personnes telle ou telle promo est exposée”

    et c’est comme ça qu’on fixe les priorités, et c’est comme ça qu’un JT de TF1 sera toujours préféré à une interview sur le transistor, quantité inversement proportionnelle à la qualité de l’audience hé oui. C’est peut-être triste mais c’est comme ça. Une maison de disques est là (plus que jamais et c’est mal parti pour changer vu l’état des finances de ce marché toujours en train de s’enfoncer) pour vendre des disques (de l’enregistrement sonore si vous voulez) avant tout. Question de survie.

    Les idéaux de baba-cool indés anti-commerciaux finissent à terme toujours au placard ou au cimetière. Et c’est la même chose pour les artistes en eux-mêmes. Combien d’exemples de groupes autrefois engagés ont splitté, arrêté de tourner, mis leur carrière en hiatus, ou ont fini par se prostituer juste pour payer leurs factures et l’école des gamins? J’ai 12 000 exemples en tête et j’en suis le premier amer.

    Bref je vous apprends pas grand chose en fait: “l’argent pourri les gens” comme dirait un rappeur ex-révolté, et c’est bien normal. En fait. Dans le système actuel c’est même humain.

    Allez-y maintenant, clouez-moi au pilori et lapidez-moi comme le sale suppôt de satan que je suis, vengez vos idoles Napster, Kazaa, AudioGalaxy (c’était les miennes aussi) mortes au champ d’honneur décimé par mes “parents”, continuez à penser que les maisons de disques ne changeront jamais et finiront par agonir sur le bord d’un trottoir pendant que tout le monde vendra sa musique directement sur son blog 4.0

    (j’exagère? oui un peu mais peut-être pas plus que cet article au final 🙂 )

    ça fait au bas mot 5-6 ans que les maisons de disque se sont sérieusement mises au web, en même temps que la généralisation du haut-débit illimité en fait. Tiens donc. Il y a eu certes des erreurs de jeunesse (de vieillesse?) déplorables, mais arrêtez de vous baser sur des faits qui ont aujourd’hui au moins 3-4 ans pour juger le travail de gens qui finalement évoluent aussi vite que le web, vraiment. Venez faire un stage d’observation même d’une semaine, vous verrez 😉

Et toi t'en penses quoi ?