Entretien avec les Bottlesmoker

Au Trans Musicales, on rencontre des artistes de tous les horizons. C’est ainsi que Le Transistor a fait la connaissance des Bottlesmoker, deux Indonésiens qui ont assuré la première partie de Battles à Bangkok (!) et qui, surtout, offrent leur musique gratuitement sur Internet. Rencontre avec le duo qui nous parle de sa philosophie de vie, du lien entre musique electro et chants religieux, et de leur dernier album, Parakosmos.

Bottlesmoker

C’est la première fois, en plus de dix ans, que les Bottlesmoker jouent en Europe.
Ryan Nobie Adzani : On a été invités à jouer par le passé, mais on avait pas les fonds. Grâce aux Trans Musicales, on peut venir jouer en Europe pour la première fois ! C’est une chance pour nous !
Anggung Kuy Kay : En fait, notre toute première tournée, c’était même pas dans notre pays, c’était en Malaisie ! C’est quand même étrange !”

Depuis leurs débuts, les Bottlesmoker ont énormément fait évoluer leur son, toujours dans un esprit d’indépendance.
Ryan : Quand on a commencé à sortir des albums, on s’est fait la réflexion que si on voulait un support physique, ça coûtait de l’argent. Et je pensais que ça aurait un impact sur notre processus créatif. Car pour vendre des albums, on a besoin de faire un tube !
Anggung : Des fois, on se dit que ce serait plus facile…
Ryan : C’est aussi pour ça qu’on choisit de ne pas dépenser de l’argent pour nos sorties d’album. Comme ça on est libres ! On peut écrire la musique qu’on veut.
Anggung : Quand part en tournée, il y a toujours un moyen d’équilibrer les dépenses. On fait pas de bénéfices, mais on est stables.
Ryan : Mais au début, le projet était d’écrire de la musique et de la partager gratuitement. On avait pas pensé à la jouer en live.”

Ce n’est qu’en 2009 que les Bottlesmoker ont commencé à envisager le live.
Ryan : De 2005 à 2008, on a sorti deux albums, mais on avait jamais donné de concerts. Et puis on a été choisis pour la AVIMA,.Asia’s Voice Independent Music Awards. C’est une récompense dans l’Océan Pacifique. On nous a décerné le prix de la meilleure chanson electro. C’est là que l’Indonésie a commencé à s’intéresser à ce qu’on faisait (rires) et qu’on a débuté les tournées.
Anggung : Au début, on jouait avec seulement nos ordis. Et puis on a commencé à apprendre à jouer notre musique en live avec les synthés.
Ryan : Mais en Indonésie, si tu veux faire de la musique electronique, il faut telle ou telle marque. Du coup, c’est compliqué parce ces marques coûtent cher, et que nous à l’époque on était étudiants, on avait pas les moyens.
Anggung : Donc on s’est formés sur internet, on a construit nos propres instruments : on a pris des jouets qu’on a customisés. C’était pas par choix : on avait simplement pas les sous pour les beaux synthés ! Mais ce processus nous plaît, on peut plus expérimenter, explorer plus de son qu’avec des instruments de musique tout neufs !”

En échange de la musique donnée gratuitement sur Internet, les Bottlesmoker reçoivent des cadeaux des fans.
Ryan : Certains réalisent des vidéos et nous les envoient. En concert, les gens nous apportent des souvenirs. C’est adorable !
Anggung : Parfois des gens nous offrent des instruments !
Ryan : Ce sont des cadeaux pour nous remercier de la musique qu’on leur offre.
Anggung : Du coup, des amis nous ont suggéré le crowdfunding, donc on a étudié la question, mais c’est pas vraiment la manière dont on conçoit la musique. Pour nous le crowdfunding c’est plus une question de solidarité, pour soutenir un étudiant par exemple. Mais ce projet, on le fait pour notre plaisir donc c’est pas logique de mettre les autres à contribution.
Ryan : Et finalement, ces cadeaux, c’est mieux qu’une rémunération, car c’est un échange gratuit, une véritable marque d’appréciation.
Anggung : Et puis comme ça on peut enfin jouer sur des vrais instruments !
Ryan : On a gardé un seul instrument de cette époque, un piano jouet, alors qu’avant on en avait peut-être 50 à l’époque !”

L’idée de donner leur musique gratuitement vient de leur usage d’Internet.
Ryan : On a toujours tout trouvé sur Internet : des logiciels gratuits, des samples gratuits… C’est une source d’inspiration !
Anggung : Et le fait de pouvoir les trouver gratuitement, c’est ce qui nous a inspiré à donner notre musique.
Ryan : Grâce à Internet, on apprend quelque chose de nouveau tous les jours. Donc il faut que je donne à la société quelque chose en retour. Tout ce qu’on sait faire c’est de la musique, donc c’est ça qu’on va donner. La musique c’est notre cadeau. “
Les Bottlesmoker gravaient donc eux-mêmes des CDs pour leurs fans.
Ryan : C’était avant la démocratisation d’Internet en Indonésie.
Anggung : On était conscient que pour les gens éloignés des villes, ou dans les petites îles, c’était compliqué de venir aux concerts, ou même d’écouter notre musique, parce que Internet était trop lent pour télécharger.
Ryan : Sans compter que c’était cher !
Anggung : Donc les gens pouvaient nous envoyer des CDs vierges, qu’on gravait avec nos compositions.
Ryan : Maintenant Internet est partout ! (rires) donc on a plus besoin de le faire.”

Pour s’en sortir économiquement, les Bottlesmoker utilisent les mêmes leviers que leurs contemporains.
Ryan : Ce projet est notre projet principal. Mais on ne gagne pas notre vie avec. Heureusement on a la chance d’avoir des familles, et nos femmes, qui nous soutiennent. On survit grâce aux concerts, et un peu le merchandising.
Anggung : Et certaines personnes font des donations. Via bandcamp par exemple, et puis on monétise notre chaîne YouTube.
Ryan : Et puis il y a Itunes aussi. Ça rapporte un peu d’argent.
Anggung : Donc maintenant les gens ont le choix. Et si on veut récupérer notre musique gratuitement, il y a notre site, tout simplement.

Leur nouveau album, Parakosmos, annonce une nouvelle direction artistique pour les Bottlesmoker.
Ryan : En fait, on a continué nos études pour obtenir un master en cultures traditionnelles. C’est considéré comme une sagesse en Indonésie. Et le fait d’explorer ce nouveau territoire nous a donné envie d’intégrer des éléments locaux à notre musique.
Anggung : On a travaillé avec des musicologues américains qui ont enregistré des chants rituels dans différentes villes en Indonésie. A partir de cette recherche, ils ont créé une plateforme d’archives vidéo et audio de musique traditionnelle.
Ryan : Les Indonésiens sont attachés aux rituels, pour célébrer quoique ce soit : pour exprimer la joie ou la tristesse, pour remercier, pour espérer. Ils prient en chantant ! C’est très beau, ça nous inspire. Donc on a choisi d’utiliser ces samples de rituels.
Anggung : On est très surpris quand les anciens d’Indonésie partent en pleine transe, avec juste les percussions !
Ryan : On pense que ce style a une connection avec l’univers. Donc on essaye de créer un nouveau rituel !” (rires)

Leur but avec Parakosmos est de redonner vie aux musiques de temples, de les intégrer à la culture moderne.
Anggung : Dans l’est de l’Indonésie, il y a beaucoup de percussions, dans les temples, ils jouent sur la répétition jusqu’à la transcendance. Or pour nous c’est le coeur de la musique électronique. Nos sages sont en avance ! Ils sont dans la vie moderne !
Ryan : Or les jeunes en Indonésie n’en ont généralement rien à faire de la musique traditionnelle. Donc notre mission c’est de leur apporter cette musique, cette culture. Mais on espère aussi que ça devienne une inspiration pour d’autres musiciens, qu’ils y puisent un peu de cette sagesse.”

Réclame

Parakosmos, le sixème album de Bottlesmoker, est paru chez Yes No Wave Music
Lire le compte rendu des Bottlesmoker aux Trans Musicales


Remerciements : Delphine [ATM]

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