Entretien avec Helena Hauff

C’est à Villette Sonique que certains ont croisé les platines d’Helena Hauff pour la première fois, l’année dernière, lors de la sortie de son premier album Discret Desires chez Ninja Tune. A la Route du Rock, Le Transistor a rencontré la productrice originaire de Hamburg, pour rencontrer une femme aussi chaleureuse que sa techno est froide. Nous parlons femmes dans l’industrie, composition, tournée, et musicologie systématique.

Helena Hauff

Helena Hauff n’a pas de très bons souvenirs de ses tout premiers pas en musique. “J’ai joué du violon, c’est vrai, quand j’étais jeune et c’était horrible : je savais absolument pas jouer. Et je n’ai jamais retouché un violon après mon dixième anniversaire.” (rires)

Depuis la sortie de son premier album, Discret Desires, Helena Hauff n’a pas arrêté de tourner. “J’aimerais d’avoir du temps pour faire de nouveaux morceaux. Mais entre les tournées et les emails… Il y a trop d’emails, je ne sais pas comment les gens font ! Et quand je rentre de tournée, je suis trop fatiguée, j’ai besoin d’espace pour créer, et puis j’ai pas vraiment envie de me forcer. Je peux le faire pour ma déclaration d’impôts, mais pas pour la musique. Et finalement c’est là que je suis la plus créative : quand je dois remplir ma déclaration !” (rires) Mais au final c’est ce que la productrice préfère, bien plus que la composition. “Parce que je suis avec des gens, je suis pas seule. Et ça me permet de faire des découvertes géniales ! Je garde mes oreilles ouvertes, car je suis toujours intéressée par ce qui est nouveau, tant que c’est pas de la musique joyeuse ! (rires) J’aime rencontrer des gens très jeunes ou très vieux, parce qu’ils peuvent me parler de choses que je n’ai jamais entendues ! ”

En véritable passionnée, Helena Hauff passe énormément de temps à préparer ses DJ sets. “J’écoute tellement de musique, et ça peut être une très bonne source d’inspiration. Même si un peu perturbant parfois. Des fois on écoute un morceau en se disant, c’est génial, je vais faire exactement la même chose. Et au final on se retrouve avec quelque chose de totalement différent, bien évidemment. C’est une bonne méthode pour les jeunes producteurs : re-créer sans copier, puis dès qu’on s’ennuie, détruire et faire quelque chose de totalement nouveau.” Elle n’a pas de préférence de style, mais son son est très sombre. “Je ne pense à rien de spécial quand je compose, je veux dire que je n’ai pas envie détruire quoi que ce soit ! (rires) Je fais de la musique, et certaines mélodies ou certains sons me plaisent plus que d’autres. J’aime quand c’est un peu brutal, parce qu’il y a beaucoup d’énergie, ça me paraît réel… Les distortion me font me sentir bien, je sais pas pourquoi. Pour moi c’est puissant.”

La productrice enregistre sur des vieux enregistreurs analogiques. “Il y a beaucoup de choses que je ne publie pas, qui finissent à la corbeille. Mais je n’efface jamais : je les garde sur un disque dur, puis je l’oublie. Des fois je me replonge dedans, et la majorité sonne pas du tout. Mais il m’est arrivé de trouver de bonnes choses, parfois bien meilleures que certains morceaux que j’ai pu sortir à la même période. Et là tu te demandes ce qui t’est passé par la tête !” (rires) Ce qui fait qu’elle n’a pas l’occasion de revenir en arrière. “A la fin, il faut bien prendre une décision, et puis des fois il faut du temps – et surtout de la distance – pour comprendre sa propre musique. C’est marrant une fois, une personne a joué un de mes morceaux que j’avais pas entendu depuis des années ! Et je me suis pas reconnue au début ! Heureusement ça m’a plu ! Mais ça n’arrive pas toujours, il m’arrive de reconnaître direct, surtout parce que je l’aime pas. Genre ne me regardez pas ! J’ai honte !” (rires)

Helena Hauff a tout d’abord choisi d’étudier à l’école des Beaux Arts. “Je me souviens que la prof disait qu’elle en avait marre de cette industrie, que c’était de la merde, mais qu’elle avait ce besoin, qui faisait qu’elle pouvait pas arrêter : il lui fallait impérativement créer. Sans ça, elle se serait déjà cassée depuis longtemps. Et à ce moment-là, je ne savais pas ce qu’elle entendait par là, parce que je ne l’avais jamais ressenti. Et puis à un moment j’en ai eu marre de l’art, et j’ai commencé à faire de la musique.” L’étudiante a compris bien plus tard ce dont lui parlait son prof. “De ce moment, je ne pouvais pas m’en passer, il me fallait préparer mes sets de DJ, écouter de la musique, acheter des albums, collectionner des synthés…. Pourtant, les cinq premières années, j’ai pas gagné un sou, et quelque part je voulais pas me faire du pognon non plus, je n’y pensais pas en fait. Et en fait, on peut pas considérer le fait d’être musicien comme un job anodin, il faut adorer ce qu’on fait. Sinon on va se noyer.”

Avant de sauter le pas, la productrice a voulu étudier la musicologie systématique. “Les gens pensent que c’est fun, et en fait c’est beaucoup de mathématiques et de physique. Si c’est pas ton truc, ce qui est le cas de certains qui étaient en cours avec moi, c’est horrible. Moi ça me plaît, et pourtant j’ai arrêté après un an. J’avais déjà ce besoin complètement fou de faire de la musique tout le temps. Je ne voulais plus faire quoi que ce soit d’autre. Je voulais juste être DJ. C’est tellement stupide ! (rires). Heureusement ça a marché !”

Il faut dire que dans le milieu de la techno, les femmes DJ n’ont pas beaucoup de visibilité. “Je pense pas que la musique soit genrée, qu’il y ait une sensibilité masculine ou féminine. A mon avis, c’est plus facile pour une femme productrice au début, et puis ça se corse. Au début, comme il n’y a pas beaucoup de femmes DJ, si un bookeur en cherche une, on a plus de chances d’être choisie. Par la suite c’est plus difficile d’être prise au sérieux.”

Helena Hauff a réussi de par son talent à s’imposer, mais a connu – comme toutes – des déboires. “Lors d’un DJ set avec une amie, j’ai entendu des mecs dire “oh non c’est deux nanas aux platines, viens on s’en va”. Ils sont même pas restés une minute… ! C’est difficile d’obtenir le respect : certains qui t’expliquent comment mixer, alors qu’on sait mieux qu’eux ! Sur internet, c’est assez horrible : quand on regarde les commentaires des vidéos boiler room, ça peut être la meilleure DJ du monde, ils vont qu’elle est là uniquement parce que c’est une femme. Et si on fait l’erreur la plus insignifiante…” Mais la productrice n’aime pas se plaindre. “Il faut rester positive. Au final, je m’en fous. Je m’amuse, la plupart des gens que je rencontre sont très cool, et me respectent. Et les autres, on s’en fout.“

Réclame

Discret Desires, le premier album d’Helena Hauff est paru chez Werk Discs/Ninja Tune
Helena Hauff sera en concert le 21 octobre au festival Nordik Impakt à Caen
Lire le compte rendu d’Helena Hauff à la Route du Rock


Remerciements : Maxime Lecerf

Catégorie : A la une, Entretiens
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