Entretien avec Frédéric Adrian

La maison d’édition du Castor Astral nous a contactés pour présenter leur collection de livres sur la musique. Et il faut avouer que de la French Touch à Jim Morrison en passant par Daniel Darc ou Bob Marley, il y en a pour tous les goûts. Ça nous a même donné envie de rencontrer un de leurs auteurs. C’est ainsi que Le Transistor s’est posé avec Frédéric Adrian, spécialiste des artistes Motown et Stax, auteur des portraits de Stevie Wonder, Otis Redding et Marvin Gaye, pour découvrir le métier de biographe.

En quelques mots, Frédéric Adrian résume la passion qui l’a poussé à écrire. « Je peux pas faire de la musique, ce serait pas une bonne idée. Mais je me suis aperçu que je sais écrire, et par ce biais, j’ai trouvé une façon d’être plus que fan. »

Comme beaucoup, cette passion a commencé au lycée. « Un pote m’a prêté les Rolling Stones, que j’ai découvert du coup complètement en décalé. Et ça me plaît, d’autant plus qu’avant j’écoutais de la variété : j’avais même été voir Jean-Jacques Goldman en concert. J’étais en Lorraine, donc je suis passé à côté de beaucoup de choses, limite je suis arrivé au hip-hop par les Rolling Stones. » Une fois tombé dans le rock, Frédéric Adrian a remonté le Mississippi jusqu’à sa source. « Je faisais les soldeurs pour dénicher des disques, mais surtout j’ai utilisé les bibliothèques de la ville de Paris, qui ont des quantités invraisemblables de disques, parce que c’était à l’époque avant Internet. Et j’ai tout lu : les notes de livret, les crédits, pour déboucher sur Chuck Berry, Muddy Waters… Assez logiquement, j’ai bougé vers la soul. »

Le fan qu’il était devenu a commencé à se créer un réseau dans la musique. « J’ai commencé à croiser des journaux musicaux, dont Soul Bag, une très bonne source d’informations, qui existe depuis 1968. Puis je me suis intéressé à un journal anglais, In The Basement, spécialisé dans la soul, et j’ai proposé au rédac chef des comptes rendus de concert en anglais. En parallèle, j’animais un groupe sur yahoo. Si bien que quand mon artiste préférée Bettye LaVette est venue à Paris, j’ai proposé au rédacteur en chef de Soul Bag de l’interviewer. C’était ma première interview en français. » Depuis dix ans maintenant, Frédéric Adrian publie interviews, chroniques et compte rendus de concerts. « Maintenant je suis même directeur de publication de Soul Bag, et président de l’association éditrice, parce que je suis le mec qui porte le plus facilement des cravates dans l’entourage. »

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Frustré de ne pas trouver de livres sur les artistes qu’il aimait, Frédéric Adrian a proposé à Castor Astral de les écrire. « J’aime beaucoup lire, surtout sur la musique, mais il n’y a pas grand-chose en français sur les musiques afro-américaines. Le jazz a plein de bouquins, avec une tendance très intellos, très prise de tête, éventuellement pas accessible aux non musiciens. Et puis, les musiques afro-américaines n’ont pas la même considération. Ils ne sont pas pris au sérieux mais plutôt comme du divertissement. Ils ne sont pas considérés comme des créateurs sérieux, parce qu’ils font de la musique pour danser.» Une chose qui lui tient à cœur c’est de redorer le blason des artistes afro-américains. « On va traiter la bio de Marvin Gaye sous l’angle de sa vie privée – avec sa mort un peu sordide, et les histoires bizarres dans sa famille, ou comme une expression de sa communauté. Sauf que ce n’est pas que ça. Mon idée est de recentrer les bio sur la musique, pour ne pas résumer Marvin Gaye à ‘Let’s Get It On‘ ou à ses chansons sexy. J’étudie leurs méthodes de travail, leur recherche de création originale. Mes bios sont sérieuses, très recherchées. Ce que je recherche c’est la crédibilité. »

Le biographe n’utilise que des sources d’époque pour être au plus près de l’histoire. « Comme je travaille en ce moment sur Ray Charles, je me tape un truc qui fait rêver c’est les grilles de recensement de 1940 – c’est du manuscrit scanné – pour avoir les bonnes orthographes des noms de famille, ou des lieux. C’est rébarbatif mais c’est utile pour éviter de raconter n’importe quoi. Par exemple sur Stevie Wonder, beaucoup de bio revisitent son histoire à la lumière de ce qu’on sait maintenant. C’est facile de se dire qu’il a été découvert à 11 ans, et que c’est un génie. Mais c’est pas vrai ! » A partir d’articles de presse, Frédéric Adrian remet la vie de ces artistes dans leur contexte réel. « Ses premiers enregistrements étaient très ordinaires. Avec certes du charme parce que c’est un gamin, mais y en avait plein d’autres comme lui. Et puis, il a beaucoup galéré : pour sa première grosse émission de télé, il est présenté comme une attraction, pas comme un artiste. C’est le petit gamin marrant, qui fait de la musique mais surtout qui saute dans tous les coins. L’idée c’est de repartir de ces sources pour voir exactement comment ça a été perçu. »

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Frédéric Adrian ne traite que d’artistes qu’il admire, sans se laisser aller à la complaisance. « C’est clair que j’écris que sur des artistes que j’aime bien. Heureusement, parce que ça me prend plus d’un an : je rentre chez moi vers 19h30 après mon boulot, et à 20h30 j’allume l’ordinateur pour travailler minimum deux heures chaque jour. Je vis avec eux, et comme j’écris en chronologie, Otis Redding et Marvin Gaye sont des personnes que j’ai tuées dans les bouquins, car elles sont mortes en cours de route. Il faut raconter l’accident d’avion sur le témoignage du seul mec qui a survécu, ça a une certaine intensité. » Tout en essayant au maximum de garder de la distance. « Je me méfie des émotions, et comme je parle d’événements qui se sont passées il y a plus de 40 ans, je n’interroge aucun témoin. J’avais interviewé Donald Dunn, le grand bassiste des studios Stax : il a joué sur tous les albums d’Otis Redding, tous les grands tubes de la soul des années 60, on le voit dans les Blues Brothers aussi. Super sympa, il m’a raconté en détail la première séance d’enregistrement d’Otis Redding. Il s’était donné un rôle modeste, c’était touchant… sauf qu’il n’était pas présent, c’est certain ! »

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Remerciements : Marie [Castor Adrian]

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