Entretien avec Tele Music

Pour fêter ses cinquante bougies, la dernière librairie musicale indépendante Tele Music a décidé de sortir un livre qui revient sur son histoire, en rappelant au passage les génériques qui ont marqué notre inconscient collectif. Fasciné par cette anthologie, Le Transistor a rencontré Rémi Agostini, nouveau directeur, et Pascal Armand, directeur artistique, pour comprendre l’évolution de leur métier, et comment ils ont réussi à nous coller des irrésistibles musiques en tête !

Tele Music

Pascal Armand et Rémi Agostini racontent d’où leur est venue cette idée d’Anthologie de Tele Music.
Rémi : Notre catalogue est le plus ancien, et regroupe tous les jingles et toutes les musiques que tout le monde connaît – comme le loto par exemple, ou Des chiffres et des lettres.
Pascal : Ces morceaux ont été tirés à but professionnel, mais finalement sont dans l’inconscient collectif… même si on sait pas qui les a faits.”

Pour résumer, Tele Music c’est une maison d’édition et de production de musique d’illustration sonore.
Pascal : Tele Music a commencé comme un label grand public, avec Pierre Bachelet par exemple. Et très vite on s’est mis à l’illustration musicale, avec surtout des publicités.
Rémi : Il y a plein d’identités qui ont été formées par des artistes en parallèle de leur musique grand public. Donc Pierre Bachelet en effet, mais aussi des musiciens de sessions pour Claude François ou France Gall : quand les sessions de studio étaient finies, une fois les artistes partis, les musiciens enregistraient leurs bœufs.
Pascal : Tele Music écoutaient ces bandes, les produisaient, puis les mettaient à disposition de monteur télé, monteur radio, de boite de prod, pour que ce soit utilisé en musique de fond ou générique. Le label est devenu opérationnel avec la création de l’ORTF, avec la publicité, avec l’habillage sonore.
Rémi : A l’époque, toutes ces musiciens sortaient juste du conservatoire, ils avaient la vingtaine, il fallait qu’ils bouffent… Ils faisaient des séries additionnelles, parce qu’il y avait de plus en plus de musique à la télé, donc beaucoup de demandes, du coup ils se sont organisés pour faire des trucs ensemble.
Pascal : C’est par là qu’Ennio Morricone a commencé sa carrière.
Rémi : Et Roger Tokarz, le créateur du label, connaissait bien les besoins – surtout en télé, donc il gardait les bandes pour des utilisations futures. Tout était pensé en studio, pour ensuite répondre à un besoin. Parce qu’il travaillait avec des illustrateurs, des monteurs, qui lui expliquaient ce qu’ils voulaient.”

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Beaucoup de labels ont des départements de synchro, pour répondre à ce genre de demandes désormais.
Rémi : La synchro c’est souvent très cher, donc souvent on recherche un morceau à-la-manière-de. Donc on va reprendre le climat du moment, pour en faire une bibliothèque musicale, avec un large panel de thèmes et de style. Ensuite si on n’a pas la musique en stock, on va la fabriquer.
Pascal : Ces musiques sont faites pour être saucissonnées. Quand on synchronise un morceau grand public, c’est beaucoup plus difficile, car il faut contacter plusieurs musiciens. Le but de notre catalogue d’éditions phonographiques est de simplifier cette démarche.
Rémi : Les artistes font des morceaux pour nous, et nous cède une part de leur “droit moral” : ils nous autorisent à décider de n’importe quelle synchro, et à fixer le prix nous-mêmes. Ce qui n’est pas du tout le cas dans la musique grand public.
Pascal : Honnêtement, pas mal d’artistes préfèrent cette carrière parce qu’ils ont une plus grande liberté, et parce qu’ils ont plus rien à faire une fois que sorti du studio. Ils n’ont pas à courir les plateaux télé, ou aller faire des interviews, ou de la scène…
Rémi : Les artistes dits grand public dépendent en tant qu’interprètes du grand public donc un besoin de promo et tournées. Dans le cadre de la librairie musicale, les morceaux sont faits dans le seul but d’être en synchro, ils ne vont jamais être commercialisés au grand public, donc jamais défendus sur scène, même si ce sont les mêmes personnes qui les ont composées.
Pascal : Cela dit c’est un exercice, car il faut s’adapter aux contraintes de l’émission, au niveau du format par exemple. Par exemple Gabriel Yared, qui a fait la musique de 37°2 le matin, faisait tous les habillages pour Europe 1. Or ce n’est pas du tout la même façon de composer.”

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Si la musique à l’écran est un exercice de style, la liberté qu’elle offre aux musiciens est une mine d’or.
Rémi : On a pas mal d’albums paru vers fin 70 / début des années 80 qui ont été hyper recherchés par des artistes de hip-hop ou électroniques pour être samplés. Les Chemical Brothers ont vachement tapé dans notre catalogue, mais aussi des artistes de hip-hop américain, parce que les enregistrements étaient avant-gardistes.
Pascal : Et rares aussi car ils n’étaient pas disponibles au grand public. Or ces musiciens cherchent toujours la loop que personne va trouver.
Rémi : C’était avant-gardiste parce que pour un morceau grand public, il faut que ça fasse 3’30, sans aucun instruments électroniques chelous – parce que c’est pas dans la cible ! Alors que là les mecs achetaient des synthés complètement dingues, et bidouillaient jusqu’à sortir un son de 3 minutes. On le pressait, ça nous faisait une piste qui trouvera une utilité quelle qu’elle soit. Quarante ans après, c’est un témoignage, car le son de ce synthé n’existe plus.
Pascal : Avec tout ce qu’ils produisaient, ils pouvaient se taper des délires. Surtout quand il fallait faire un truc spatial, pour une émission scientifique ou un documentaire sur les fonds marins.”

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Tele Music mettent en garde contre la fausse bonne idée de recycler une musique grand public en illustration musicale.
Rémi : Nous recevons demandes pour un solo de guitare électrique, sur un morceau de surf music à la Pulp Fiction… Nous faisons des propositions à partir de morceaux qu’on a produits. C’était soit parce qu’on avait trouvé l’illustrateur sonore qui savait le faire ou parce qu’on a eu envie, parce qu’on voulait compléter notre librairie musicale.
Pascal : Par exemple, on a un morceau qui sonne comme Pulp Fiction, mais beaucoup moins cher du coup. Mais en plus, acheter le Misirlou de Pulp Fiction, c’est pas une bonne idée. Parce qu’un morceau similaire ne véhicule pas les mêmes émotions que le morceau original.
Rémi : L’utilisation de la musique grand public à tort et à travers porte préjudice. Les émissions de télé utilisent des singles pour illustrer leurs émissions, or dès qu’il y a une rediff trois ans après, le programme a hyper vieilli parce qu’ils ont pris le morceau qui était à la mode à cette époque.
Pascal : Il y a une intention dans nos versions, mais comme le morceau n’est pas commercialisé au grand public, il n’y a pas d’émotions attachées.
Rémi : Quand on écoute le Misirlou de Pulp Fiction, on pense directement à Pumpkin et Honey Bunny, et la scène dans le diner. Donc on n’est pas du tout sur l’ambiance surf pour laquelle le morceau a été composé à la base, puisque c’est l’ambiance de musique californienne, plutôt tendance Beach Boys.
Pascal : En cinéma, pour une prise de paysage, si on prend une musique grand public elle va véhiculer autre chose que juste l’illustration de la scène, ou l’émotion des acteurs. Nous produisons de la musique qui souligne, précisément parce qu’elle n’a jamais été utilisée avant.
Rémi : Elle a justement été faite pour l’illustration de grands espaces, de scène de suspense, de scène de crime ou de joie… Des fois, on nous demande de la musique qui fait pleurer, colle la petite larme. C’est pas des choses qui sortent sur disque, ce n’est pas des albums classiques, mais c’est typiquement une musique qu’on peut fabriquer… Et ces musiques sont vierges de souvenirs pour le grand public.”

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Réclame

Tele Music – Une Anthologie – 50 ans est paru aux Éditions Sforzando.
Livre bilingue Français-Anglais guidé par Pascal Armand, directeur artistique de Tele Music depuis près de 20 ans, et Julien Gaisne journaliste.
Préface par Guillaume Fédou, auteur-compositeur et chroniqueur La Revue Schnock.
Ecouter la compilation sur Bandcamp


Remerciements : Delphine Caurette [WebPromo]

Catégorie : A la une, Entretiens
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