Entretien avec Braids

En 2011, le festival des inRocKs Black XS avait convié M Comme Montréal en programmation, ce qui permis au Transistor de découvrir Braids. Deux ans plus tard, le désormais trio sort son deuxième album Flourish // Perish. Mais une ombre plane sur dix titres plus expérimentaux que sur Native Speaker… Il fallait en avoir le cœur net et rencontrer la jolie Raphaelle Standell-Preston, le décidé Austin Tufts et le silencieux Taylor Smith. La discussion a tourné autour de leurs envies, autant au niveau fringales que musicales.

Braids

L’interview se fait lors d’une réception à l’ambassade du Canada. L’occasion d’un débat sur les petits fours proposés.
Raphaëlle : tu as essayé le caviar ?
Austin : C’est pas vraiment une spécialité canadienne, ça devait être des graines de pavot !
Mais t’as goûté les sliders ?
Raphaëlle : Quoi ? y’en a ? j’adore !! C’est des mini-hamburgers. On les appelle les sliders parce qu’ils glissent dans la bouche. J’adore les hamburgers, surtout pendant mes menstruations. »

Braids

Sur Flourish//Perish, Braids semble avoir tiré des leçons de leur premier essai.
Raphaëlle : Sur Native Speakers, on avait construit une sorte de mur : je chantais la personne que j’avais envie de paraître. Mais là j’ai baissé ma garde. Je me sentais beaucoup plus vulnérable : je racontais ce qui me passait par la tête, pour le capturer directement en enregistrement. Sur l’album précédent, on avait fait tellement de prises. Et quand on le ré-écoute, il …
Austin : il sonnait robotique.
Raphaëlle : Je pleurais au milieu des prises… Pas parce qu’on en avait fait des centaines, mais dès les premières prises, tout simplement parce que je pouvais pas attraper la note que je voulais. Je poussais tellement sur mes cordes que ça en devenait ridicule : je savais pas ce qui était adapté à ma voix.
Austin : Et cette fois-ci, au lieu de rechercher cette performance parfaite, on s’est concentrés sur le fait de capturer des émotions. On a réalisé que s’acharner sur une prise n’était pas la bonne manière d’atteindre la perfection. Soudain, la perfection a eu une nouvelle signification : celle de capturer l’essence de ce qu’on voulait.
Raphaëlle : On a compris que les erreurs peuvent faire ressortir des choses encore plus belles.
Austin : Ce qui importait c’était qu’on se sente bien, et c’est pas grave si ça sonne juste ou pas… »

Leur processus de création a totalement changé, avec l’introduction d’ordinateur comme instruments. « Ce premier album reposait énormément sur l’énergie. Et là on voulait explorer une émotion plus profonde. Oui, on cherchait quelque chose de plus sombre. Mais on a pas pu le faire avant, parce qu’on pouvait pas la patience ou le temps de le faire, donc on avait été obligés d’écarter ces idées. Alors que maintenant, avec ce nouveau processus de création, on peut étreindre la délicatesse, la fragilité. Et désormais on sait le soutenir grâce aux ordinateurs.
Raphaëlle: Je me suis lassée de la guitare. J’ai arrêté d’en jouer, parce que je me suis rendu compte que je voulais que ça sonne comme un synthé. J’achetais tellement d’accessoires et de pédales, parce que je voulais à tout prix que ça sonne pas comme une guitare. Donc j’ai cédé, j’ai détruit cette barrière mentale qui voulait que je joue de la guitare.
Austin : C’était tout simplement pas le son qu’on avait en tête. Et ce son très spécifique ne peut être obtenu que sur ordinateur. Par contre, notre son ne repose pas sur l’ordinateur – on n’enregistre aucune boucle sur nos ordinateur, on joue tout en live – mais l’ordinateur nous permet de faire plus de choses. C’est une expérience fascinante la première fois qu’on y arrive, parce que c’est très frustrant de ne pas réussir à sortir ce qu’on a dans le crâne. »

S’ils ont réussi à trouver leur son, il leur a fallu adapter leurs répétitions à cette recherche émotionnelle. « On voulait être à l’intérieur de ces émotions. Sauf que passer deux heures sur une chanson très rythmée, c’est super facile, mais rester plusieurs heures à travailler une chanson triste et introspective, c’est moins évident. Ca devient super déprimant, on s’énerve. C’est là qu’il faut faire attention.
Raphaëlle : Quand on passe six heures d’affilée, c’est pas gérable. Donc on s’est imposé de pas passer plus de deux heures sur une chanson triste.
Austin : Ensuite, il fallait passer à la suivante, parce que le studio n’avait pas de fenêtre… »

Du coup, leur artwork est passé d’une explosion de couleurs à une pochette monochrome – comme pour signifier le départ de Katie Lee du groupe.
Raphaëlle : Je sais pas ce qu’elle devient, je lui ai pas parlé depuis plus d’un an. C’est encore très intense même si d’une manière ou d’une autre, cette séparation était nécessaire. Cependant, il a fallu s’en relever : sur cet album, on apprend à avancer. Cette séparation est clairement partout sur cet album, il en est imprégné. Donc il a fallu finir cet album et avancer, et ça a consolidé notre groupe.
Austin : On en revient à peine d’avoir réussi à sortir cet album malgré tout. Maintenant, on se sent prêt à dépasser n’importe quel obstacle tellement ça a été dur de s’en remettre. Et on est plus heureux que jamais. Parce qu’on a traversé ça ensemble. Et ça nous a permis d’écrire la meilleure musique qu’on n’ait jamais produite. »

Avec ce tournant dans leur discographie, Braids se prépare à décevoir son public.
Austin : Il faut accepter de laisser certaines personnes en chemin si on veut avancer.
Raphaëlle : Il faut continuer, par rapport à ce qui te semble vrai, réel, sur le moment. Native speaker a été écrit il y a longtemps, es-tu seulement la même personne qu’il y a quatre ans ? Ce groupe est composé de trois personnes différentes, donc c’est normal que cet album ne soit pas le même que le précédent.
Austin : Je suis pas sûr que les gens réalisent ce qu’un groupe doit traverser quand il sort son premier album. En plus de ça, on a beaucoup tourné, on a visité une quinzaine de pays, on a rencontré tellement de personnes différentes, on est tombé amoureux, on s’est sentis trahis… Toutes ces choses te changent, et changent la musique que tu vas créer.
Raphaëlle : Déjà entre nous c’est difficile d’accepter le changement : on a ces souvenirs des uns et des autres qui remontent à l’adolescence. Et on aimerait que l’autre reste cette personne qu’on a rencontrée à l’époque. Mais il faut réaliser que c’est pas parce qu’on ne rit plus aux mêmes blagues qu’avant que ça signifie qu’on ne rit plus ensemble !
Austin : Il faudrait que certains écoutent ce qu’on a fait avant avec Neighborough Council : c’était complètement différent ! Mais sans ce groupe, on ne serait jamais devenus ce qu’on est maintenant. C’est l’expérience qui nous construit. Si on peut pas écrire la musique qui nous correspond à un moment T, il vaut mieux tout abandonner. »

Réclame

Flourish // Perish, le deuxième album de Braids, est paru chez PIAS.
Braids sera en concert le 9 septembre à la Flèche d’Or.


Remerciements : Stéphanie (PIAS)

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