Entretien avec Jens Lekman

Jens Lekman c’est ce compositeur suédois qui s’avère être un des meilleurs songwriters de sa génération (c’est pas nous, c’est Stereogum qui le dit !) Il vient tout juste de sortir son quatrième album, Life Will See You Now. Un titre drôle mais un peu grinçant, comme il sait si bien le faire ! Et finalement très révélateur de la période un peu chaotique qu’il a traversée pour composer ce nouvel album. Le Transistor a discuté avec Jens Lekman de ses projets Postcards et Ghostwriting, mais aussi de doutes, de choix de vie, et de mariages.

Jens Lekman

Jens Lekman a une idée très précise de sa mission en musique. « En tant que songwriter, il faut trouver de la magie là où, parfois, il n’y a rien. »

Or justement, quand Jens Lekman s’est lancé dans ce nouvel album, il n’en était plus capable. « J’étais arrivé à un point où j’en avais marre de moi-même, je ne savais pas si je devais continuer, mais ce qui était sûr c’est que je ne voulais plus écrire sur moi. Je sais que beaucoup de gens ont cette voix dans leur tête, ce qu’on appelle le syndrome de l’imposteur, mais j’ai toujours eu ça en moi. Quelque chose qui me dit que tout ce que je fais est nul… Qu’à un moment les gens vont se rendre compte que je ne suis qu’un imposteur depuis le début. » Pourtant il a fini cet album, puis l’a fait écouter à des amis songwriters. « Je leur fais confiance pour me livrer leur opinion de manière objective. C’est eux qui m’ont alerté… qu’on avait l’impression que j’essayais de saboter ma carrière. En fait, j’avais écouté cette voix, celle qui essaie toujours de tout ruiner. Quand on fait un choix, alors qu’on sait très bien que ça va pas marcher. Je pouvais pas le voir à l’époque, mais en effet l’album était parfait pour se planter. Pour me prouver que je sers à rien, et donc que j’avais raison depuis le début. »

Pour sortir de cet état d’esprit, le compositeur s’est lancé dans deux projets bien distincts. « Avec Postcards, je pouvais faire ce que je voulais, à condition de sortir une chanson par semaine. Ce qui fait que je composais plus spontanément, avec de la joie même ! Au lieu d’essayer d’écrire 10 chansons magnifiques d’un coup. Tandis qu’avec Ghostwriting j’avais le sentiment que je pouvais écrire sur tout sauf sur Jens Lekman. Une partie du projet était de rencontrer ces gens, pour les interviewer, qu’ils me racontent une histoire personnelle, comme ça je me focalisais sur eux. »

Le projet Ghostwriting est né d’emails reçu par ses fans. « Avec mon adresse mail sur le site internet, n’importe qui pouvait m’écrire. J’ai reçu des demandes d’infos sur les concerts ou le prochain album… Accompagnées de confidences de type “aussi, je suis en train de tromper mon petit ami, et voici ce que je pense”. J’ai réalisé qu’il y a un pouvoir à être un étranger, les gens ont l’impression qu’ils peuvent tout raconter. Je me sens privilégié de recevoir ces pensées secrètes, donc je les ai gardées. Mais il y avait aussi beaucoup d’histoires que j’avais envie de raconter, j’avais envie d’en faire des chansons. » Après deux concerts, Jens Lekman a tiré des leçons de cette expérience. « Au début, l’album devait parler d’autres personnes, et je ne devais pas figurer à la table des matières. Mais j’ai compris que pour pouvoir faire quelque chose dans lequel on s’implique émotionnellement, il faut en faire partie. Mes amis m’ont dit que mes chansons sont beaucoup plus puissantes si je parle de moi. Donc cet album raconte beaucoup d’histoires, il y a beaucoup de personnages, mais c’est aussi à propos de ma relation à ces personnes et leurs aventures. »

Quant aux 52 chansons réalisées dans le cadre de Postcards, Jens Lekman reste critique. « La moitié d’entre elles sont mauvaises, mais c’est pas grave, elles documentent un intérêt précis à un moment donné. Certaines sont ennuyeuses, et d’autres sont des embryons de scénarios de science-fiction, ou une réflexion sur la crise des réfugiés, ou les attentats parisiens. Du coup, je pouvais pas les sortir trois ans plus tard, les gens auraient pas compris. C’est un peu comme South Park, qui écrivent les épisodes la semaine même, et c’est pour ça qu’ils sont si bons : ils sont proches des préoccupations actuelles ! »

Une fois ces projets menés à bien, Jens Lekman a pu se lancer réellement dans ce quatrième album. « Les chansons font état de toutes ces portes qui jalonnent notre vie, et nous font flipper. Autour de moi, beaucoup de personnes ont récemment eu la révélation que les portes sont toutes fermées, et qu’il ne leur reste plus qu’à suivre un chemin tout tracé, c’est là qu’elles doivent décider de le suivre… Ou de lâcher leur boulot pour faire quelque chose qui les intéresse vraiment. C’est un album sur l’importance de ces choix parce qu’il y aura des conséquences, même si c’est dans quinze ans. »

Life Will See You Now est plus joyeux que les précédents, à l’instar du morceau ‘Wedding in Finistère’. « J’aime bien que le mot Finistère signifie fin de la terre. C’est un lieu magnifique, au bord de l’océan où beaucoup de gens célèbrent les mariages. Je joue beaucoup aux mariages, et la plupart du temps tout se passe bien, c’est juste une cérémonie, mais à une ou deux occasions, j’ai vu des gens flipper, parce qu’ils étaient sur le point de s’engager sur une voie et donc de cramer tous les autres ponts. Du coup, le personnage de la chanson se demande si c’est la fin du monde. Ou est-ce le début ? »

Étonnamment, pour vivre de sa musique, ce compositeur a choisi de jouer lors des mariages. « En fait, j’ai commencé à faire des albums quand les gens ont arrêté d’en acheter. La nouvelle manière de gagner sa vie avec sa musique, c’est de se vendre aux entreprises, mais je déteste ça : je pense que ça affecte profondément la créativité. Donc il a fallu trouver autre chose et jouer aux mariages est une manière de me financer. Maintenant je peux jouer dans n’importe quel contexte ! Même face à l’oncle bourré, qui me gueule dessus parce qu’il veut une chanson des Beatles, je peux continuer. »

Réclame

Life Will See You Now, le quatrième album de Jens Lekman, est paru chez Secretly Canadian.
Jens Lekman sera en concert le 21 avril au Café de la Danse


Remerciements : Agnieszka [Secretly Group]

Catégorie : A la une, Entretiens
Artiste(s) :
Production(s) :

Une réaction »

  • Gagne tes places pour le festival Clap Your Hands au Café de la Danse | Le Transistor :

    […] Le vendredi 21 avril, on retrouve Jens Lekman, le songwriter suédois qui vient de sortir son quatrième album, Life Will See You Now. Considéré comme un des meilleurs de sa génération par Stereogum, cet artiste est capable de trouver de la magie là où, parfois, il n’y a rien… Et doté surtout de beaucoup d’humour ! Lire son interview […]

Et toi t'en penses quoi ?