Entretien avec Les Gordon

Les Gordon (prononcez Less Gordone – c’est en référence à l’artiste vidéaste écossais Douglas Gordon) commence à se faire un nom depuis son EP Saisons, et surtout depuis sa signature chez Kitsuné. Mais en fait on connaît ce beatmaker depuis longtemps, quand Marc Mifune officiait dans Mondrian, ou plus récemment au sein de LesKa, le duo qu’il forme avec Thomas Lucas alias Douchka. Juste après son concert à la Route du Rock, Les Gordon nous a parlé de ses origines et de ses projets, notamment aux côtés de Thylacine.

Les Gordon

Le choix de la référence pour le nom du projet, c’est parce que Marc Mifune est autant dessinateur que musicien. « A un moment donné j’ai perdu le goût de la musique, donc je me suis rabattu sur le dessin, et finalement j’ai retrouvé l’envie. C’est pour ça que le projet Les Gordon, je veux le pousser pour montrer qu’on peut ne pas rester cloisonné. »

Les Gordon revient de La Route du Rock hiver, où il donnait un concert avec le conservatoire de Rennes. « Ca fait depuis septembre que je répète avec les gamins, c’était une super expérience ! L’important c’était de transmettre aux jeunes, surtout moi qui ai fait le conservatoire. L’idée était de pouvoir leur montrer qu’on peut aussi faire de la musique autrement, que c’est pas juste prise de tête. » Car après dix ans de violoncelle au conservatoire, Marc Mifune s’est retrouvé dégoûté du milieu. « Au début, c’était un peu en mode hobby mais j’ai fait mon diplôme de fin d’études, j’ai même essayé de passer la médaille, donc ça rigolait plus. C’était vachement intensif ! Je suis content de mon parcours, mais c’est une chance de savoir qu’à côté du conservatoire, on peut faire sa musique, et que d’ailleurs c’est une bonne base pour nos propres compos. Il suffit d’avoir envie. Je le sais parce qu’à un moment je l’ai perdue. »

Malgré des études poussées en musique, Marc Mifune a opté pour les Beaux Arts. «
J’ai pas continué de formation professionnelle dans la musique, il y avait trop de pressions dans le classique. Et avec mon père qui était prof de dessin et peintre, je faisais beaucoup de dessin, donc je suis allé aux Beaux Arts et j’ai fait une école spécialisée en dessin à Lyon. Donc j’ai un diplôme en animation, et j’ai commencé à bosser dans ce milieu-là. La musique est revenue en parallèle de mes études de dessin. » Il lui a fallu près de dix ans pour retrouver le goût de la musique. « Je trouvais que j’avais plus de choses à dire en musique. Et puis j’ai l’impression que l’émotion est plus forte : c’est beaucoup plus profond – que ce que je faisais en bande dessinée ou en illustration. J’avais un très bon niveau en dessin, mais j’arrivais pas à exprimer des choses plus ancrées. En musique je me focalise sur des choses plus personnelles. Et puis c’est essentiel pour moi d’avoir une réaction immédiate. »

Les Gordon vient de sortir Atlas, son septième EP, chez Kitsuné. « J’ai beaucoup testé : sur les EP précédents j’avais pas encore trouvé mon son. J’essayais de poser mes bases entre l’electro et l’acoustique. Et sur Saisons, j’ai trouvé une cohérence, un équilibre. C’est là que les gens m’ont découvert, donc pour moi c’est comme un premier EP officiel. C’est là que j’ai commencé à trouver ma direction, donc j’ai continué sur cette voie-là. » Ce que Marc Mifune cherche à provoquer c’est une sorte de dépaysement. « J’ai des origines asiatiques : mon père est taiwanais, et mon grand-père japonais. Ce qui fait que plus jeune j’ai souvent voyagé dans ces pays et j’ai pu me nourrir de cette culture au contact de mes cousins, et mes oncles. Du coup il y a vraiment ce côté nostalgique : quand je compose, j’essaie peut-être de retranscrire à ma façon ces souvenirs. »

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Ce que l’on ressent à l’écoute de Les Gordon, c’est un pont entre deux cultures. « J’essaie comme de concilier les cultures de mes parents : comme ma mère est française, j’exprime par la musique ce que je suis. Ce sont plein de choses qui au fur et à mesure s’affinent, et je remarque cette envie de mixité qui revient. Il y a un vrai raisonnement derrière : c’est pas parce que c’est à la mode, ou à cause des mangas, c’est juste que ça fait partie de moi. Et maintenant je le mets en avant. » L’époque pop et colorée de Mondrian paraît très éloignée. « Sur Morning Crash il y a toujours eu cette espèce de mélancolie sous-jacente. Avec Les Gordon j’essaie de mêler ce sentiment à l’electronique un peu comme Gold Panda. Comme Four Tet, il utilise des sons traditionnels ou jazz. Perso, je vais utiliser des instruments du folklore, à la manière de Bat For Lashes, qui modernise ces instruments en pop, ou à un autre niveau Steve Reich. En tous cas, c’est très présent chez moi l’idée de mixer des sources – pas contraires mais un peu opposées. »

Quand il compose, Marc Mifune prend le temps d’enregistrer chaque instrument. « Avant, je prenais beaucoup des bouts de voix à droite à gauche, et maintenant j’essaie de les récupérer sur des a cappella que j’ai remixés – avec autorisation. Tout le reste est enregistré, je ne délivre aucun sample. J’en vois pas l’intérêt dans le sens où je peux les enregistrer moi-même. Je connais la musique, je sais comment ça fonctionne, ça sert à rien de vouloir copier, il vaut mieux avoir sa propre idée pour pourvoir la mener jusqu’au bout. » C’est la curiosité qui pousse Les Gordon à reproduire au lieu de sampler. « J’ai assez de facilités dans l’apprentissage des instruments, donc je préfère apprendre au fur et à mesure… Au lieu de me dire que je connais pas les accords. Je veux dire c’est cool c’est joli mais je pourrais jamais par exemple le refaire en live. Et puis c’est nul au niveau de la connaissance. »

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En septembre, Les Gordon s’apprête à sortir un nouvel EP, mais est déjà sur le suivant. « Il est fini, il reste plus qu’à le mixer et masteriser. Pour la suite, j’aimerais raconter une histoire un peu plus longue, donc j’envisage plus de titres. C’est mieux pour laisser quand même une patte, qu’on puisse comprendre au moins l’intention. Même si certains titres sont moins forts, la longueur permet une vraie cohérence. Peut-être que les gens n’écoutent qu’un ou deux morceaux, mais si t’as un message à faire passer, autant prendre le temps. » Et s’il prépare un EP avec Douchka, il part en tournée avec Thylacine ! « Avec le French Miracle, on part pendant deux semaines à Pékin, à Séoul en Corée du Sud, et Djakarta en Indonésie. On fait un parcours en mode club pendant que des groupes pop partent sur un autre trajet. Je me sens assez privilégié du fait qu’on soit que deux artistes electro alors qu’ils auraient pu rentabiliser. Ca va être sympa ! »

Réclame

Atlas, l’EP de Les Gordon, est paru chez Kitsuné assorti d’un EP de remix.
Les Gordon sera en concert le 19 juin à La Clairière (Domaine de Longchamp), et le 21 juin à la Flèche d’Or, et le 25 juin au festival Cal’le son.


Remerciements : Maxime Lecerf

Catégorie : A la une, Entretiens
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