Entretien avec John Grant

De John Grant, ce grand monsieur au physique de bûcheron quelque peu intimidant (mais pour autant absolument délicieux), on avait gardé un souvenir impérissable de Queen of Denmark, son premier album-thérapie sorti en 2010, quelque six ans après la séparation des Czars, groupe qui l’avait fait connaître dans les années 90. Il livre aujourd’hui le deuxième tome de ses confessions exutoires avec Pale Green Ghosts, entièrement pensé et composé sur ce caillou béni des Muses qu’est l’Islande.

John Grant

Entretien avec John Grant

“J’avais été invité à jouer au Iceland Airwaves Festival en 2011, et là-bas tout le monde se connaît, j’ai donc fait passer le mot que j’avais très envie de rencontrer les gars de Gus Gus. C’est comme ça qu’on m’a présenté à Biggi, un des principaux membres du groupe, un soir après son concert. Au départ il ne savait pas trop quoi penser de moi, on ne se connaissait pas après tout, il était donc assez hésitant. À l’époque j’étais censé retourner au Texas pour bosser à nouveau avec Midlake et le producteur de St. Vincent, John Congleton.”

Une rencontre bienvenue qui a donc tout bousculé, l’agenda comme le son ou même le cadre de vie du bonhomme qui s’est depuis installé à Reykjavik. “Je suis revenu en janvier 2012, et j’ai contacté Biggi pour voir s’il avait un moment à m’accorder, pour passer du temps avec lui dans son studio, et voir s’il en sortait quelque chose. En une semaine on avait bouclé ‘Pale Green Ghosts’ et ‘Blackbelt‘ ! C’est là que je me suis dit qu’il fallait absolument que je fasse tout l’album là-bas, avec lui.”

Un deuxième album conçu dans le froid, là où le premier avait émergé de la torpeur texanne. “Même si la dépression guette dans ce type d’environnement, assez sombre et isolé, c’est plus évident de se retrouver et d’accéder à tous les recoins de soi-même. On a avancé pas à pas, un peu chaque jour. Tout est issu d’une même session de dix mois.” Il n’y a qu’une chanson qui date de l’époque de Queen of Denmark : ‘You Don’t Have To’. “A l’époque, je n’aimais pas comment elle rendait, même si elle était très importante pour moi. Elle sert de pont entre les deux albums et amorce le côté électronique de Pale Green Ghosts.”

Celui qu’on avait pris pour un conteur folk (la faute à la barbe et à l’écriture ciselée), se mue sur ce deuxième recueil en marionnettiste de sons électroniques. “Je savais déjà à l’époque de Queen of Denmark que je voulais quelque chose de bien plus électro, parce que c’est vraiment le style que j’aime le plus. Je ne voulais pas d’un Queen of Denmark 2, et c’est pour ça que j’ai été vers Biggi, pour qu’il m’aide à confronter mon écriture à ce genre de sons. Et je pense qu’il a aimé ça autant que moi! Je n’avais aucune idée précise de ce à quoi on allait aboutir, je me rendais compte en avançant de ce qui me correspondait.”

Pour autant, tous les morceaux de Pale Green Ghosts ne sonnent pas comme des manifestes électro, chaque chanson prend une couleur particulière et le style s’adapte au propos. “C’était essentiel pour moi, surtout pour des morceaux comme ‘Sensitive New Age Guy’ qui parle d’un ami qui s’est tiré une balle dans la tête l’année dernière. Je voulais rendre au mieux ce qu’avait été sa vie, quel genre de personne il avait été, par le son autant que par les mots. Il était extraordinaire, une de ces rares personnes pour lesquelles on peut employer le mot génie. Il avait un esprit hors du commun, mais je pense que l’alcool et la drogue l’ont beaucoup ravagé. ” Des histoires, des rencontres, des blessures, John Grant livre cette fois encore un album extrêmement intime illustrant son don pour le portrait. “C’était un mec très poilu, très frisé, avec un grand nez et des traits marqués; puis il s’est transformé, est devenu cette femme, ce travesti, se faisait appeler Schwar. Il a complètement changé, une métamorphose hallucinante, s’était épilé intégralement, avait fait beaucoup de muscu pour avoir des jambes musclées et fines, et un corps qui ressemblait à un mur de briques. Mais il avait toujours cet énorme nez, un Picasso!”

Une célébration de sa vie plutôt qu’un éloge funèbre en somme. “Il était très frontal, très in-your-face, et c’est ce que rend le son, très agressif, très brut, la basse est presque industrielle, à la Ministry ou quelque chose du début des eighties. Certains trouveront le morceau difficile, voire agaçant, de la même manière que certaines personnes le trouvaient lui agaçant. C’est une chanson qui détonne au milieu des autres, tout comme lui, c’est en ça que je la trouve réussie. C’est un bon hommage je pense, je m’imagine très bien entendre ce son dans un club, la ligne de basse est juste imparable, et il n’y a rien au monde que je n’aime autant qu’une bonne ligne de basse!”

http://www.youtube.com/watch?v=SLxCTYX9dgI

C’est cette agressivité et ce son brut et pourtant travaillé que l’on ne lui soupçonnait pas. “J’ai fait en sorte de changer mes émotions en sons. Sur ‘Blackbelt’ par exemple, il s’agit d’attaquer physiquement quelqu’un qui vous a blessé, ce qui est un réflexe profondément humain, même si ce n’est pas forcément rationnel d’attaquer quelqu’un que l’on aime. Mais quand quelqu’un qui vous aime profondément, décide du jour au lendemain de vous retirer cet amour, alors que vous, vous avez toujours ce sentiment en vous, que faites-vous? Il faut s’employer à détruire tout ça et ‘Blackbelt’ est un coup de poignard pour achever ce sentiment-là.”

Blackbelt’, ‘Sensitive New Age Guy’, et les autres chapitres de la thérapie de John Grant sont sur Pale Green Ghosts, un deuxième album dont on ne ressort pas indemne.

Réclame

Pale Green Ghosts, le deuxième album de John Grant, est paru le 11 mars 2013 chez Bella Union/Cooperative Music.
John Grant sera le 17 avril au Divan du Monde.


Remerciements : Mathieu Pinaud (Coop)

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  • Entretien avec Villagers - Le Transistor | Le Transistor :

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